Mémo éco - Prélever pour socialiser, c'est obligatoire !

Publié le 7 nov. 2022
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 À la suite des nouveaux projets de loi de finances qui viennent acter le budget de l’État et de la Sécurité sociale, les libéraux se réjouissent de nouvelles baisses d’impôt tout en avançant qu’il reste du chemin à faire pour que la France ne soit plus un « enfer fiscal ». Le taux de prélèvement obligatoire s’élève ainsi en France à 47% pour 2021. Ce chiffre qui peut paraître important ne donne en réalité que très peu d’informations.

Le taux de prélèvement obligatoire, un indicateur discutable

Le chiffre utilisé comme une référence porte sur le taux de prélèvement obligatoire en % du PIB. Les comparaisons internationales à propos de cet indicateur sont vues comme l’alpha et l’oméga pour quantifier la « pression fiscale ». L’heure est aux réjouissances pour les libéraux puisque la France se rapproche de ses voisins européens et voit son taux de prélèvements obligatoires en baisse en 2021 par rapport à 2017, passant de 48,3% du PIB à 47%. On ne parle pas de l’année 2020 qui ne peut être utilisée comme référence au vu de ses particularités (réductions d’impôts, chute du PIB, subventions énormes, etc.).

Par nature les prélèvements obligatoires (PO) déplaisent aux libéraux et libertaires du fait de leur caractère obligatoire et par la logique collective et solidaire qui les sous-tendent. Ils estiment également que réduire les PO permettrait de rendre du « pouvoir d’achat » aux ménages, ce qui est totalement illusoire.

Supprimer les cotisations, un gain de pouvoir d’achat ?

Par exemple ; imaginons que l’on supprime totalement les cotisations retraites.  Nous devrions donc également supprimer les pensions versées qui ne sont que la contrepartie de ces cotisations. Certes dans un premier temps les salarié-e-s recevraient un salaire net plus élevé. Mais ils devraient épargner chaque mois une partie de ce salaire net pour se constituer eux-mêmes une retraite. Même s’il n’y a pas de contrainte « collective », chaque salarié·e s’auto-contraint en sachant que se constituer une retraite est indispensable.

On passe donc d’une contrainte sociale à de l’auto-contrainte individuelle, avec tous les effets pervers que cela peut avoir. Un ménage modeste devrait alors arbitrer entre finir le mois dignement ou bien épargner pour sa retraite. Ce type d’arbitrage est tout simplement insupportable. Un système de retraite solidaire et socialisé permet d’éviter cela.

De la même façon, notre système de santé est articulé autour d’un régime obligatoire et d’un système complémentaire. Sur le papier, une assurance complémentaire santé n’est pas obligatoire pour les retraité·e·s. Or plus de 95% des retraité-e-s en ont une, et plus on est pauvre, moins on est couverts par une assurance complémentaire, ce qui démontre une nouvelle fois l’effet pervers du « libre choix ».

Le système socialisé est toujours plus juste

Les cotisations au régime obligatoire de la Sécurité sociale entrent donc dans les prélèvements obligatoires au contraire des cotisations aux complémentaires santé alors que l’on voit bien que le caractère « choisi » d’une complémentaire est relativement discutable. Si on passait à la Sécurité sociale intégrale on aurait donc une augmentation des prélèvements obligatoires alors que cela se traduirait par une baisse globale des dépenses[1] et par une couverture de 100% des citoyen-ne-s.

Les dépenses socialisées sont le pendant des prélèvements obligatoires, on ne peut pas considérer l’un sans l’autre. Cela veut dire que la seule véritable indication du « taux de prélèvement obligatoire », c’est le degré de socialisation… et donc de justice sociale.


[1] Les organismes complémentaires ont des frais de gestion largement supérieur au régime obligatoire. Passer à la Sécu intégrale permettrait donc de faire des économies sur les frais de gestion.

Il faut tout comparer… ou rien

Comme nous venons de le voir, la notion de prélèvement obligatoire pose problème en tant que telle lorsque l’on ne s’intéresse pas aux contreparties des prélèvements.

Sur ce point, on remarquera d’ailleurs que le patronat met constamment en avant les « impôts de production », plus élevées que chez nos voisins tout en taisant le fait que les subventions à la production sont bien plus élevées aussi que la moyenne de la zone euro (1,8% du PIB en France contre 0,9% du PIB pour la zone euro en 2019), sans parler de la kyrielle d’aides publiques aux entreprises portant le tout à plus de 150 Mds€ par an, soit cinq fois la dette des hôpitaux.

Le taux de prélèvement obligatoire ne dit rien de la qualité des services publics et de notre sécurité sociale.  Le taux de prélèvement obligatoire est totalement dépendant de choix politiques. Il dépend notamment du système de retraite ; selon qu’on a un système par répartition ou par capitalisation, le taux de prélèvement obligatoire sera différent.

Comparer le taux de prélèvement obligatoire de deux pays sans comparer leurs systèmes de retraites n’a donc aucun sens. Cela vaut pour bien d’autres éléments, comme l’éducation par exemple.

Car les prélèvements obligatoires servent notamment à payer l’enseignement supérieur. On peut assez facilement réduire les prélèvements obligatoires si dans le même temps on réduit fortement la qualité du service public d’enseignement supérieur comme on l’a fait en France. Cela se traduira sans doute par une privatisation de l’enseignement supérieur et donc des dépenses supplémentaires pour les étudiant-e-s et leurs familles… mais aucunement par un bien-être supplémentaire lié par la réduction des prélèvements obligatoires.

Une fois de plus, les prélèvements obligatoires ne sont pas des dépenses supplémentaires, il ne s’agit que d’une socialisation des dépenses et donc une réduction des dépenses privées. Évidemment l’État permet de la redistribution, il y a donc des mécanismes, de solidarité, qui font que ce ne sont pas forcément directement ceux qui paient qui reçoivent. C’est le principe de la socialisation, de la mise en commun et de la solidarité, au fondement de nos valeurs CGT.

 

Une baisse des prélèvements sur les entreprises… supportée par les ménages

Les politiques publiques posent toujours la question de la redistribution. Beaucoup de choses peuvent être dites sur ce point lorsque l’on étudie la situation française.

Si la « pression fiscale » a baissé depuis 2017, c’est uniquement le fait de la réduction des prélèvements obligatoires sur les entreprises. Concrètement, c’est la baisse du taux d’impôt sur les sociétés, la pérennisation du CICE en exonérations de cotisations sociales et la baisses des « impôts de production » ; ce sont les aides aux entreprises qui expliquent la baisse des prélèvements obligatoires.

Ces baisses d’impôts et cotisations consenties aux entreprises sont en réalité en partie compensées par une hausse du taux de prélèvements obligatoires portant sur les revenus des ménages et sur la consommation. Derrière la baisse générale du niveau de prélèvements obligatoires il faut donc surtout s’intéresser à la source de ces prélèvements et sur qui porte l’effort ; comme d’ordinaire, c’est le monde du travail qui passe à la caisse.

Pour résumer ce point, les entreprises profitent de baisses d’impôts, tandis que les ménages doivent compenser avec des hausses de prélèvements d’un côté, et une dégradation des services publics de l’autre. Baisser les prélèvements obligatoires, c’est choisir les gagnants (et les perdants) ; c’est un choix politique.

La justification de ces baisses d’impôts pour les entreprises est la volonté d’accroitre « l’attractivité » de la France. Nous avons déjà critiqué cette notion d’attractivité à plusieurs reprises[1]. Signalons simplement ici que l’attractivité telle que la conçoit le gouvernement, c’est clairement de réduire au maximum les coûts des entreprises au détriment des travailleur-se-s et des finances publiques, dans le seul but d’assurer une meilleure rentabilité du capital.

Notre vision : prélever pour des dépenses socialement utiles

Cette logique « d’attractivité » pour le capital est non seulement une vision anti-sociale mais également inefficace économiquement comme le démontre la période actuelle.

A quoi sert un « coût du travail » et des « impôts de production » faibles quand une entreprise, comme Duralex, n’est même pas en mesure de produire du fait des prix de l’énergie ? Entreprise qui compte alors sur le soutien de l’État pour assurer la prise en charge d’une partie des salaires via chômage partiel. Le problème n’est pas le « coût du travail ».

La qualité de l’éducation, des infrastructures publiques en matière d’énergie, de mobilités ou encore la qualité de nos institutions sont des éléments majeurs de la « compétitivité » et de « l’attractivité » d’une économie, trop souvent oubliés par les libéraux, obnubilés par les taux d’imposition et les salaires. Une étude de l’Insee[1] sortie le 3 novembre, nous enseigne d’ailleurs que le pays étranger où les multinationales françaises s’implantent le plus sont les Etats-Unis. Si on se concentre sur les entreprises industrielles, ils sont suivis de l’Allemagne. Difficile de penser que ces choix sont dictés par des questions de « coût du travail ».

Si les dizaines voire centaines de milliards d’euros offerts sans conditions aux entreprises avaient été investis par exemple dans la maintenance de nos réacteurs nucléaires aujourd’hui à l’arrêt et dans le développement des énergies renouvelables, nous n’en serions peut-être pas là aujourd’hui (sans parler de la folie de la marchandisation de l’énergie). Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Des investissements dans le fret ferroviaire, dans l’éducation, la recherche, les services publics de proximité, le logement, etc. sont autant d’atouts pour le développement économique bien plus importants que les taux d’imposition et qui servent l’intérêt général plutôt que le capital.

Comme nous le signalons régulièrement, ce qui compte ce ne sont pas les taux d’imposition ou de prélèvements, ni les milliards prélevés qui comptent, mais bel et bien ce que l’on en fait. Et c’est bien ça qui pose problème en France. Les dépenses publiques aujourd’hui servent trop à subventionner la production, compenser les exonérations de cotisations sociales ou encore suppléer le capital dans la rémunération des salariés via la prime d’activité et les chèques inflation par exemple.

La socialisation, ce n’est pas un « coût », c’est une efficacité ! Il suffit de penser aux frais de gestion du régime obligatoire de la sécurité sociale comparativement à ceux des complémentaires. Il n’y a rien de mal à avoir des prélèvements obligatoires élevés, ce n’est que le « prix » de dépenses socialisées.

Ceux qui veulent réduire les prélèvements obligatoires doivent être très clairs sur les prélèvements à réduire mais surtout sur les dépenses publiques qu’ils veulent tailler (et donc quelles prestations sociales ou la qualité de quels services publics réduire). Défendre un niveau élevé de prélèvements, c’est défendre un niveau élevé de notre véritable richesse commune et notre axe revendicatif majeur : nos services publics, notre sécurité sociale ; des institutions qui déplaisent au patronat pour une raison simple : elles existent hors de la logique de profit, et peuvent être étendues ! Sans surprise, derrière un argument en apparence technique (le « taux de prélèvement ») se cache le conflit entre le capital et le travail, entre l’aiguillon du profit et la logique d’intérêt général.

 

[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6651980

 

Repère revendicatif