Le gouvernement a fait passer en force le projet de loi finances 2023 en utilisant l’article 49.3 de la Constitution pour passer outre son absence de majorité à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi, ô combien important, contient notamment une nouvelle baisse d’impôt pour les entreprises, en l’occurrence la suppression de la CVAE[1].
[1] Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises
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Des aides publiques qui se multiplient sous toutes les formes
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Les deux derniers quinquennats ont été marqués par des cadeaux massifs aux entreprises, et s’il s’agit même d’une tendance de fond depuis près de 30 ans. Pour ces 10 dernières années, on peut notamment citer le CICE de François Hollande, transformé en exonérations de cotisations sociales par Emmanuel Macron, qui coûte plus de 20 milliards d’euros par an à l’Etat pour un effet limité voire nul sur l’emploi. Emmanuel Macron est allé encore plus loin avec la baisse de l’impôt sur les sociétés (qui est passé de 33,33% à 25%), des baisses de taux de cotisations sociales, et, désormais la baisse de la CVAE pour près de 10 milliards d’euros par an.
Une stratégie patronale ancienne… et efficace
La stratégie du patronat est assez claire et la succession de ces cadeaux fiscaux ne laisse rien au hasard. Les cotisations sociales étaient la première cible avec l’idée martelée sans cesse que le problème de la France était le « coût du travail ». Les exonérations mises en place progressivement depuis les années 1990 sont aujourd’hui tellement importantes qu’il ne reste aucune cotisation patronale Urssaf au niveau du Smic.
Le patronat a donc changé de marotte, après avoir obtenu les exonérations sur les heures supplémentaires, pour se concentrer sur la baisse de l’Impôt sur les sociétés « pour que la France retrouve de l’attractivité » c’est-à-dire pour inciter les capitaux étrangers à « investir » (en vérité : se déplacer) en France. Emmanuel Macron a donné satisfaction à ces demandes dès son arrivée à l’Elysée, et a dans le même temps baissé la fiscalité du capital. Ainsi, les entreprises ont pu avoir un résultat net d’impôt plus important, pour verser encore davantage de dividendes eux-mêmes moins taxés. Le capital a gagné sur toute la ligne.
Les « impôts de production » ; le dernier né de la rhétorique des « charges »
Après ces nouvelles offrandes, le patronat a pu se concentrer sur les « impôts de production »[1] en utilisant la crise comme prétexte pour de nouvelles baisses d’impôts, soi-disant indispensables alors même que les travaux de l’Institut des politiques publiques[2] ont bien montré que cette réduction d’impôt n’était pas du tout ciblée et donc n’allait pas profiter aux entreprises qui ont souffert de la crise sanitaire comme ce qu’aurait exigé a minima un véritable plan de relance. Et cela est sans compter les subventions directes contenues notamment dans les différents plans de relance.
[1] Nous avions déjà noté que la notion « d’impôts de production » était un pur construit patronal : https://analyses-propositions.cgt.fr/memo-eco-baisser-les-impots-de-production-nouvelle-lubie-patronale
[2] Voir page 49 des Indicateurs économiques et sociaux de la CGT – Edition 2022
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Les grandes entreprises capteront la majorité de la baisse d’impôt
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La suppression de la CVAE (accompagnée de la baisse du plafond de la CET[1]) prévue par le gouvernement va coûter 9,3 milliards d’euros par an selon les estimations de la Direction générale des entreprises. Il est prévu qu’elle soit divisée par deux en 2023 avant d’être totalement supprimée en 2024.
Le gouvernement tente de mettre en avant le fait que cela va profiter en majorité aux PME, mais c’est une vision biaisée de la situation. Plus de 90% des entreprises bénéficiaires seront des PME mais elles se partageront 19% de la baisse d’impôt totale quand les entreprises de taille intermédiaire et grandes entreprises capteront 68% de cette manne (certainement davantage même car 10% seront touchés par des entreprises mal identifiées mais qui relèvent pour la plupart du secteur financier et de l’assurance).[2]
Rien de surprenant puisque le taux d’imposition dépend du chiffre d’affaires de l’entreprise. Les plus grosses entreprises ont donc un taux plus élevé que les petites.
Ainsi pour une entreprise qui fait 3 millions d’euros de chiffre d’affaires et 1,8 million de valeur ajoutée, cela fera une économie d’impôt de 5 000€ par an. Qui peut sérieusement penser que cela incitera l’entreprise à embaucher ou à investir ? Nul doute que cela ne changera strictement rien à son comportement et se traduira donc uniquement par 5 000€ de bénéfices supplémentaires.
Pour ce qui est des grandes entreprises, les résultats astronomiques publiés au premier semestre montrent bien qu’elles ne sont pas à court d’argent pour embaucher, augmenter les salaires ou investir. Là encore, cela ne fera que gonfler les profits… et ne bénéficiera qu’aux détenteurs du capital.
Cette réduction d’impôts est donc dans la lignée des précédents cadeaux au patronat ; coûteux, inefficace, et avec une justification économique qui ne tient pas la route, puisque les économistes dominants sont bien en peine de trouver le moindre effet négatif sur la production à la CVAE.[3] Cette nouvelle aide aux entreprises vient en outre alourdir un fardeau déjà colossal pour les finances publiques, et notamment les finances publiques locales, premières bénéficiaires de la CVAE.
[1] Contribution économique territoriale. Cela comprend la CVAE et la CFE (cotisation foncière des entreprises) -
Plus de 160 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises
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Comme l’a montré le rapport Ires[1] commandé par la CGT, les aides publiques aux entreprises se chiffraient à près de 160 milliards d’euros par an en 2019, avec des résultats quasi nuls sur l’emploi.
Pour rappel, 160 Milliards d’euros cela représente :
- Plus de 30% du budget de l’Etat
- 5 fois la dette des hôpitaux
- 2 fois le budget de l’éducation nationale
Malgré les échecs répétés de chaque dispositif, le narratif libéral reste le même ; «il y a encore trop d’impôts, il faut les baisser davantage pour que ça produise des effets ».
Depuis 2019, on a déjà donc eu une nouvelle baisse des « impôts de production » de 10 milliards d’euros par an au moment du plan de relance. Sans même avoir d’évaluations solides sur les effets de cette baisse, le gouvernement concède donc près de 10 milliards supplémentaires sans aucune condition. Le capital vient de gagner en quelques années l’équivalent d’un nouveau CICE ; un tour de force.
Pour comparaison, les dépenses annuelles de RSA s’élèvent à environ 12 milliards d’euros par an. Dans ce cas de figure, le gouvernement exige des contreparties des bénéficiaires sous couvert de « responsabilité » et de « rigueur » avec l’argent public, et consacre des ressources considérables pour la « chasse aux fraudes » dont on ne rappellera jamais assez qu’elles sont d’un montant ridicule à côté de la fraude fiscale et sociale des employeurs.[2] Il s’agit donc bien d’un choix politique délibéré, assimilable à une thérapie de choc. Le monde du travail est mis sous intense pression, tandis que les aides publiques aux entreprises, et donc le soutien des profits, devient la première dépense de l’Etat.
[1] Un capitalisme sous perfusion[2] https://www.alternatives-economiques.fr/fraude-fiscale-fraude-sociale-ne-se-tromper-de-cible/00098437
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Conclusion
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Le gouvernement n’a aucune stratégie industrielle. Sa seule politique consiste à faire des chèques en blanc aux entreprises et à baisser leurs impôts, en présentant ces cadeaux comme un « plan » pour l’industrie ou pour l’emploi. Comme nous le répétons depuis des années, ce n’est pas d’un problème de coûts dont souffre l’industrie française mais plutôt d’un problème de positionnement global lié notamment à la vision court-termiste des actionnaires qui ne consentent pas aux investissements indispensables.
Réduire les coûts ne règlera donc aucun problème et profitera aux actionnaires des grandes entreprises françaises, matures et qui se gavent littéralement de ces perfusions d’argent public sans conditions.