Nous avons pu voir dans la fiche précédente comment l’Etat finance ses dépenses publiques et surtout comment et dans quelles conditions il emprunte. Nous allons désormais nous intéresser aux détenteurs de ces créances.
- Les institutions qui détiennent la dette publique
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Tout d’abord, concernant la détention de la dette publique on distingue les agents économiques résidant en France. En effet, cela a du sens car être endetté envers des agents de son pays est très différent par rapport à être endetté envers des agents d’autres pays, notamment en matière de dépendance envers nos créanciers. Par exemple, le Japon est endetté à environ 240% de son PIB mais essentiellement auprès d’agents économiques japonais. Pris comme un tout, on peut donc dire que le Japon est endetté envers lui-même, ce qui relativise fortement le pseudo risque de faillite.
Source : Banque de France
En France, concernant les agents non-résidents, nous n’avons aucune indication quant à leur nature précise, pourtant ils possèdent la moitié de la dette publique française. Cette part était passée de 28% en 1999 à 70% en 2010 avant de redescendre progressivement jusqu’à aujourd’hui.
Du côté des agents résidents, selon les données de la Banque de France de fin septembre 2020, 6% de la dette publique française était détenue par les organismes de placements collectifs[1] (OPC), 7% par les banques, 13% par les assurances et 24% pour les « autres résidents » c’est-à-dire essentiellement la Banque Centrale Européenne via la Banque de France.
Les particuliers ne peuvent pas détenir directement de la dette publique française mais ils le peuvent à travers les différents produits d’épargne commercialisés par les OPC, les banques ou encore les assurances.
Organisme de Placement Collectif : Il s’agit de fonds qui collectent et investissent l’argent des épargnants. Les OPC les plus connus sont les SICAV (sociétés d'investissement à capital variable) et les FCP (fonds communs de placements
- Détenir la dette publique, beaucoup de ménages concernés… mais dans des proportions différentes
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La dette publique est financée par les agents économiques qui sont en capacité d’épargner. Pour autant, il serait faux de penser que seul les très riches détiennent de la dette publique. En effet, quasiment toutes les personnes qui ont une assurance-vie par exemple, c’est-à-dire, 36% des français, 30,2% des employés et 50%% des cadres[1], détiennent par ce biais une partie de la dette publique. L'attrait pour la dette publique s'explique d'abord par les règles imposées aux investisseurs. Comme la dette est un titre non risqué, tous les investisseurs institutionnels se doivent d’en détenir au moins une certaine proportion pour assurer leurs arrières et couvrir leurs éventuelles pertes sur des produits financiers plus risqués comme les actions.
Si la plupart des français sont donc concernés par la détention, ne serait-ce que minime, de la dette publique, il est clair qu’en proportion, ce sont les plus riches en détiennent le plus.
Puisque la dette n’est pas directement détenue par les particuliers, il est impossible de savoir précisément quels sont les types de ménages qui possèdent la dette publique à travers leurs produits d’épargne. Cependant, on peut se référer à la répartition du patrimoine global ou bien à la détention de dettes publiques dans d’autres pays pour se faire une petite idée de la situation.
Concernant le patrimoine financier (les obligations détenues constituent du patrimoine financier), selon l’Insee[2], les 1% des ménages les plus fortunés possèdent 31% de ce patrimoine, les 5% les mieux dotés en possèdent plus de la moitié (54%). A l’inverse, 50% des ménages se partagent 3% du patrimoine financier total. Ces chiffres laissent peu de doutes sur le profil moyen des plus gros détenteurs de dette publique. Cela est confirmé par les données américaines qui indiquent que les 1% des ménages américains les plus riches détiennent plus de la moitié de la dette publique américaine[3].
On pourrait donc en conclure que l’Etat préfère financer ses dépenses en empruntant aux riches, moyennant intérêts, plutôt que de leur faire payer des impôts.
D’autre part, l’opacité qui règne sur la détention de la dette est un problème, soulevé également par le député LREM Laurent Saint-Martin, qui était rapporteur général du Budget. Il s’agit là d’une question souveraineté et de démocratie.
[1] Source : Insee
[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4265758
[3] Sandy Brian Hages, « les propriétaires de la dette publique et la fabrique d’un monde inégalitaire », Savoir/Agir, n°35, 2016, p23-32. Cité par Les économistes atterrés, « La dette publique, précis d’économie citoyenne », Seuil, 2021, p53