Le 20 mars, la synthèse compilant les travaux des trois groupes de travail du GIEC, dans le cadre de son 6e rapport, a été rendue publique. Sans surprise, celui-ci alerte encore et toujours sur la nécessité absolue de changer de direction de toute urgence, que ce soit au niveau mondial ou national, tout en martelant, si c’était encore nécessaire, qu’il était « incontestable que l'influence humaine a réchauffé l'atmosphère, les océans et les terres ». Ainsi, les experts indiquent que le réchauffement planétaire atteindra probablement 1,5°C entre 2030 et 2035. Cette synthèse appuie d’ailleurs sur le fait que la réduction massive des inégalités sociales est une des clés majeures et doit une priorité de l’atténuation du réchauffement climatique.
Il est important de garder à l’esprit que le GIEC réunit des scientifiques et universitaires de plus de 65 pays et qu’il est également soumis à de fortes influences politiques (plus de 195 pays sont membres). Ainsi, ses conclusions, issues de longues discussions pour arriver à un consensus, font faces à des pressions politiques majeures, notamment en provenance des pays fortement producteurs d’hydrocarbures.
Dans cette note, nous mettons en avant les principaux enseignements à tirer de ces travaux. Il est évident qu’elle n’est pas exhaustive, synthétiser l’ensemble des travaux des 3 groupes du GIEC en 2 pages étant tout simplement impossible.
(Image d'illustration : Javier Miranda, via Unsplash)
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Sur l’état des lieux global du réchauffement climatique :
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Les émissions de gaz à effet de serres (GES) ont continué à augmenter durant la période 2010-2019 et ont atteint leur plus haut niveau en 2019 avec 59 GtCO2e émis (soit 12% de plus qu’en 2010 et 54% de plus qu’en 1990). La plupart des secteurs observent une baisse du taux de croissance (c’est-à-dire que les émissions continuent à augmenter mais moins vite), à l’exception des transports dont les émissions augmentent toujours de 2% par an.
L’objectif de l’accord de Paris (COP-21) de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici 2100 ne sera probablement pas atteint, sauf bifurcation soudaine des politiques climatiques au niveau mondial. Pour se faire, le pic des émissions doit être atteint en 2025. Actuellement, les promesses de baisse des émissions faites par les Etats ne permettent de limiter le réchauffement qu’à 2,8°C. Les politiques climatiques réellement en place ne permettent de limiter le réchauffement qu’à 3,2°C (3,8°C en France). Ainsi, il est impératif d’accélérer massivement la mise en œuvre des actions d’atténuation pour limiter le réchauffement à +2°C.
Le budget carbone disponible (c’est-à-dire la quantité de GES que nous pouvons encore rejeter dans l’atmosphère) est d’environ 500 GtCO2e pour limiter le réchauffement à 1,5°C et de 1100 tCO2e pour 2°C.
Ces émissions sont très inéquitablement réparties à la surface du globe. Ainsi, la part des « pays les moins avancés »[1] représentait en 2019 environ 3,3% des émissions mondiales. Entre 1850 et 2019, leur part représentait seulement 0,4% (à comparer avec l’Europe 16% et 18% pour l’Amérique du Nord). 41% de la population mondiale vit dans un pays où les émissions sont inférieures à 3 tCO2e/habitant/an, et 48% dans un pays où les émissions sont supérieures à 6 tCO2/hab/an, dont 35% (donc 17% du total) dans un pays où les émissions sont supérieures à 9 tCO2/hab/an.
Par ailleurs, environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique (inondations, sécheresses et tempêtes).
[1] (PMA, 46 pays, soit plus d’un milliard d’habitant.e.s, environ 1/8e de la population mondiale)
- Sur les objectifs :
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Le GIEC rappelle les objectifs de réductions suivants pour limiter le réchauffement à 1,5°C et 2°C :
Objectif
1,5°C
2°C
2030
- 43%
- 27%
2050
- 84%
- 63%
Le GIEC rappelle que ces objectifs sont inatteignables sans une réduction massive, rapide et immédiates des émissions de GES de tous les secteurs. Il est par ailleurs indispensable de limiter au maximum la production d’électricité à partir d’énergie fossile (charbon, pétrole gaz) pour avoir une chance de limiter le réchauffement climatique. Dans le secteur des transports, les émissions de GES doivent baisser de 59% et 29% d’ici 2050 pour atteindre les objectifs de 1,5°C et 2°C (pour rappel, celles-ci augmentent actuellement de 2% par an).
Le GIEC rappelle que la neutralité doit être atteinte sur l’ensemble des GES (comme le méthane, qui représente environ 18% des émissions) et ne pas se limiter au seul CO2 (75% des émissions de GES). Enfin, il est rappelé la nécessité absolue de mesures d’adaptations fortes aux effets du réchauffement climatique.
Cette figure illustre le réchauffement global en fonction des scénarios, en montrant aussi ce que cela implique pour les différentes générations. Très interessant dans le contexte de la réforme des retraites.
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Sur les leviers d’actions (non-exhaustif) :
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Les solutions, techniquement viables, existent déjà pour réduire les émissions de tous les secteurs d’au moins 50% d’ici 2030 et leur mise en œuvre à l’échelle mondiale est indispensable pour réussir la bifurcation. Il faut cependant garder à l’esprit que notre réponse au changement climatique ne peut pas uniquement reposer sur l’innovation technologique. D’ailleurs, si de nombreuses options d’atténuations ont des co-bénéfices environnementaux importants (ex. : l’amélioration significative de la qualité de l’air), certaines d’entre elles peuvent avoir des impacts environnementaux négatifs lorsque qu’elles sont appliquées à grande échelle et sans être suffisamment encadrées (comme les bioénergies et la fabrication des batteries).
Une politique ambitieuse de rénovation énergétique des bâtiments permettrait au secteur résidentiel/tertiaire d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. De même, des restructurations urbaines profondes couplées à des politiques coordonnées sur les logements auraient un impact significatif sur le secteur des transports, notamment en réduisant de manière importante la longueur des trajets domicile-travail.
La restauration et la préservation des forêts (impliquant ainsi une lutte contre la déforestation) et autres écosystèmes (zones humides, tourbières, savanes, prairies, etc…) est un levier majeur d’atténuation du réchauffement climatique. En revanche, le boisement ou la production de biomasse peuvent avoir des impacts socio-économiques et environnementaux négatifs lorsqu’ils sont mal mis en œuvre (monocultures…). A noter que l’utilisation du bois comme matériaux à partir de forêts gérées durablement présente un potentiel d’atténuation.
Enfin (et c’est une nouveauté), le GIEC note la nécessité absolue de lutter contre les inégalités et la surconsommation de services qui amène à « un certain prestige social ».
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Sur les aspects économiques et financiers :
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Le GIEC indique qu’il est nécessaire d’accroitre d’un facteur 3 à 6 les investissements annuels sur la période 2020-2030 par rapport à 2019 pour respecter les objectifs de 1,5°C et 2°C, en rappelant que les capitaux sont largement disponibles mais sont mal alloués et pas ou peu orientés vers l’action climatique. Par exemple, les flux de financements publics et privés sont toujours plus importants dans le soutien aux énergies fossiles que dans la lutte (adaptation et atténuation) contre le réchauffement climatique. Ainsi, le GIEC estime que la régulation financière ou des politiques macroéconomiques peut permettre de surmonter les obstacles et de créer d’autres options d’atténuations.
Par ailleurs, l’accélération de l'aide financière accordée aux pays en développement par les pays développés est un catalyseur essentiel pour renforcer les mesures d'atténuation et remédier aux inégalités d'accès au financement pour les pays en développement. D’une manière générale, l’avantage économique mondial de limiter le réchauffement dépasse le coût d’atténuation.
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En conclusion :
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Pour la CGT, cette synthèse n’est qu’une confirmation de plus de l’urgence absolue d’agir de manière forte et planifiée contre le réchauffement climatique, et de l’impasse dans laquelle nous emmène le monde capitaliste. Les effets sont déjà là et visibles : après les incendies et sécheresses dévastateurs de cet été, nous faisons face à un hiver anormalement sec et des réserves d’eau déjà au plus bas, ce qui n’annonce rien de bon pour la prochaine période estivale.
Cette nouvelle synthèse vient ainsi encore plus appuyer nos revendications, telle que le développement massif des services publics, la mise en place de pôles publics de l’énergie et des transports, la planification et le retrait du marché d’un certain nombre de secteurs stratégiques, l’augmentation des salaires et un investissement dans la R&D massif, un grand plan de rénovation énergétique des bâtiments et une régulation des loyers, la sauvegarde des forêts et la mise en place d’une vraie filière bois française, la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle afin d’assurer la reconversion des secteurs à adapter, le partage équitable des ressources ou encore le développement accru de la coopération internationale…
Les solutions existent et le travail est immense, mais une chose est sure : si nous attendons que le monde capitaliste s’occupe de ces problématiques, il est probable que nous arrivions à un réchauffement mondial de plus de 3,2°C en 2100 aux conséquences catastrophiques. Il est donc indispensable que nous nous emparions pleinement de cette question et que nous imposions les changements nécessaires au pouvoir en place et au patronat.
Enfin, pour terminer sur une note un peu plus optimiste, « le fait que les émissions de GES devraient atteindre un pic entre aujourd’hui et 2025 ne signifie pas que nous n’avons que trois ans devant nous pour agir et qu’après, il sera trop tard. Au contraire, au point où nous en sommes, chaque dixième de degré compte. Plus on agit rapidement et fortement, plus les conséquences dramatiques seront évitées. S’il y a dépassement de +1,5°C, il faudra viser 1,51°C et ainsi de suite car il n’est jamais trop tard pour agir. Si l’on ne respecte pas l’objectif +1,5°C ou même l’objectif +2°C, le discours contreproductif consistant à dire qu’il est trop tard pourrait entraîner une diminution ou un arrêt des efforts de réduction et donc un réchauffement encore plus fort (par exemple, +2,5°C), alors que continuer les efforts de réduction, même si l’objectif initial est dépassé, pourrait permettre de limiter la hausse à 2,1°C ». (Extrait du rapport de fond du CITEPA sur le rapport du 3e groupe de travail du GIEC).
Que ce soit pour les retraites, les droits sociaux ou l’urgence climatique, ne lâchons rien !
Pour aller plus loin : https://bonpote.com/rapport-de-synthese-du-giec-chaque-dixieme-de-degre-compte/