Il est toujours compliqué de présenter une analyse du travail et du sens de celui-ci. Plusieurs conceptions du travail s’opposent, plusieurs idées du sens de celui-ci. Pourquoi évoquer un sujet si complexe : simplement parce que cette perte de sens impacte directement la santé des travailleurs·ses.
En s’accordant avec les positions défendues par la CGT selon laquelle le.la travailleur.se est l’expert.e de son travail, ce nouveau Mémo Sécu se propose d’envisager la perte de sens du travail comme à la fois :
- La perte du sentiment d’être utile ;
- L’absence de cohérence entre les valeurs professionnelles, morales et le travail ;
- L’absence de capacités transformatrices du travail pour l’individu.
Concrètement, le travail dans le capitalisme est-il une simple aliénation, auquel cas la liberté est à chercher en dehors de celui-ci, ou alors existe-t-il une liberté atteignable dans le travail sous ces conditions ?
Il ne s’agit pas d’une question simplement théorique mais une réalité pour toutes et tous. Aujourd’hui de très nombreux travailleurs et travailleuses choisissent de quitter leur travail parceque celui-ci n’a plus aucun sens : pour Thomas Coutrot et Coralie Perez, deux économistes spécialistes de la question, le risque de départ « volontaire » augmente de 30% lorsqu’il y’a perte de sens au travail. Et lorsque le départ est empêché, la perte de sens du travail peut être associée à une forte hausse de l’absentéisme pour maladie.
Pour la DARES, on est bien loin d’une épidémie de flemme que les prises de positions du gouvernement pourraient nous laisser imaginer, la grande majorité de démissionnaires de CDI au second semestre 2021 sont en emploi dans les 6 mois qui suivent. Les travailleur.ses cherchent simplement à quitter des conditions de travail qui dégradent leur santé.
Les points importants à retenir |
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- Le travail, perte de sens.
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Parler de sens au travail c’est renverser les interrogations sur la pénibilité du travail en se demandant ce qui fait que bon nombre de travailleur·ses acceptent de travailler même dans des conditions qui se dégradent. C’est donc considérer que le travail n’est pas uniquement une peine.
On peut dès lors considérer le travail comme une activité dans laquelle toutes et tous nous engageons physiquement et émotionnellement, nous nous impliquons dans celui-ci. Bon nombre de nos revendications se construisent d’ailleurs autour de notre conception du « bon travail » et c’est dans ce bon travail que nous trouverions un sens.
Mais aujourd’hui les organisations contemporaines du travail (management par les objectifs chiffrés, Lean, new public management…) construisent la perte de sens au travail. C’est à ces conclusions qu’arrivent Thomas Coutrot et Coralie Pérez.
Pour eux, un travail a du sens :
S’il est associé à un sentiment d’utilité sociale ; S’il y a une cohérence éthique entre celui-ci et les attentes des travailleurs·ses ; S’il permet à ces dernier·ères de développer leur habilité et leur expérience.Aussi, et c’est un point fondamental, la perte de sens au travail a un très fort impact sur la santé des travailleur·ses. Entre 2013 et 2016, le risque d’entrer en dépression est 2 fois supérieur pour celles et ceux dont le travail perd son sens et cela que ce soit pour les ouvrier.ères ou les cadres.
Enfin, les situations de sous-traitance, qui éloignent les travailleur·ses des objectifs de leur travail, les objectifs chiffrés et les changements organisationnels permanent sont des facteurs déterminants dans la perte de sens au travail.
Grâce à l’enquête « condition de travail » de la DARES, ils et elles ont développé une analyse qui leur permet de défendre l’idée que ce n’est pas simplement le salaire qui est déterminant dans le choix de changer ou non de travail, mais c’est bien le sens de celui-ci.
- La quête de sens, un symptôme de l’individualisation du travail ?
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Cette quête de sens est-elle l’un des symptômes de cette individualisation généralisée du travail, celle présentée dans le Mémo Sécu n°12 ? Pas seulement. Pour les deux auteurs, il s’agit surtout de la volonté d’exister en tant qu’individu, ce qu’ils appellent l’individuation, et non pas de légitimer l’idée que l’individu serait et devrait être responsable de tout.
Néanmoins, cette individuation trouve tout de même ses causes dans l’individualisation du travail.
En effet, là où le travail durant les Trente Glorieuses n’avait pas pour objectif, en premier lieu, l’épanouissement personnel mais l’accès à la consommation de masse et à une amélioration importante des conditions de vie, aujourd’hui les organisations du travail définissent l’individu comme responsable de son travail et de son « employabilité ». Il faudrait trouver le « bonheur au travail » et celui-ci relèverait de la responsabilité de chacun.e. De la même manière, la souffrance serait aussi de la responsabilité des travailleur·ses.
Dès lors, rien d’étonnant à ce que les travailleur·ses, auxquels on exige la responsabilité de leurs conditions de travail, réclament de la reconnaissance et défendent des ambitions plus démocratiques pour les organisations de travail.
Finalement, la recherche du sens dans le travail est aussi et peut-être le fruit de contradictions caractéristiques du capitalisme, celle entre le capital et travail, entre propriétaire des moyens de production et producteurs de valeur.
- Emanciper par le travail ou émanciper le travail ?
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Alors, l’enjeu n’est-il pas de poser la question de l’émancipation des travailleurs.·ses et des conditions de possibilité de celle-ci ?
En somme, le travail peut-il être émancipateur lorsqu’il est sous contrôle du capital et de ses finalités premières : sa valorisation et sa reproduction ?La thèse défendue par certain·es est que l’on peut trouver des ilots d’émancipation dans une amélioration des conditions de travail, dans le développement de mécanismes plus démocratiques au sein des organisations de travail sans pour autant que l’idéal démocratique soit atteignable au sein d’entreprises capitalistes. La mobilisation syndicale est alors l’un des moments de cette émancipation
Pour d’autres, le fait que le système de production dans lequel nos sociétés évoluent soit construit autour de principes fondamentalement antidémocratiques, la propriété privée des moyens de production et l’objectif fondamental de valorisation du capital, rend toute ambition d’émancipation des travailleurs.·ses par le travail totalement impossible.
Ce serait alors le travail, l’activité humaine de transformation, qu’il faut émanciper du capital comme rapport de production, de domination et d’exploitation avant de pouvoir penser l’émancipation des travailleurs.ses par leur travail. Seule une remise en cause du mode de production capitaliste serait donc à même d’ouvrir le champ des possibles.
Aujourd’hui cette perte de sens impact l’ensemble des travailleur.ses et peut être plus violemment les travailleur.ses du Care. Nombre de travailleuses de la santé et du médicosociale déclarent qu’elles ne pourront pas continuer leur travail jusqu’à la retraite ou décident de quitter des conditions de travail qui les écrasent. Par exemple, pour les infirmières hospitalières, 50% d’entre elles n’exercent plus au bout de 10 ans, certaines ayant choisis le libéral d’autres de quitter la profession.
Finalement, la perte de sens au travail est un enjeu majeur de santé au travail puisqu’elle impacte fortement la santé des travailleurs. C’est en s’opposant au développement d’organisations du travail de plus en plus pathogènes que la CGT défendra la santé des travailleurs·ses.