L’essentiel à retenir :
- Dix ans après l’Accord de Paris, les engagements volontaires sans contrainte ont échoué : les émissions mondiales restent bloquées à un niveau record (57,7 milliards de tonnes de CO₂e en 2024), le “socle” autour de 56–58 Gt ne baisse pas.
- La hausse récente vient surtout du changement d’usage des terres (déforestation, agriculture industrielle, mines) et de la poursuite d’un modèle productif mondialisé où la demande des pays riches tire les émissions des grands pays émergents et déplace une partie de notre empreinte carbone via les délocalisations.
- Tant que les politiques climatiques resteront dominées par la logique financière et les profits “verts” (captage de carbone, hydrogène, crédits compensatoires…) sans normes contraignantes, financements publics massifs et contrôle des multinationales, la transition continuera de se faire contre les travailleurs et les territoires.
Dix ans après la signature de l’Accord de Paris, la planète ressemble à un coureur épuisé sur un tapis roulant : elle s’agite, promet, accélère même parfois, mais sans jamais réduire la distance qui la sépare de la ligne d’arrivée climatique.la planète reste engagée sur une trajectoire de réchauffement de 2,8 °C d’ici la fin du siècle, en 2100, voire plus, soit loin des 1,5 °C promis.
Et pour espérer limiter le dépassement du seuil de 1,5 °C à un niveau temporaire et modéré, il faudrait réduire les émissions mondiales de 26 % d’ici 2030 et de 46 % d’ici 2035 par rapport à 2019, avertit l’ONU dans son rapport[1]. Or les politiques actuelles conduisent à une trajectoire exactement inverse.
Derrière ce chiffre abstrait se cache une réalité concrète : chaque degré de réchauffement déclenche des bouleversements majeurs. Comme le rappelle la climatologue française Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du GIEC :
« Avec +1,1°C de réchauffement planétaire, nous observons déjà des impacts généralisés et sévères. Il y a par exemple une baisse des rendements agricoles dans certaines régions d’Afrique, avec des conditions plus chaudes et plus sèches. Nous sommes aussi confrontés à difficultés d’approvisionnement en eau, avec la sécheresse, mais aussi l’intensification des pluies extrêmes qui augmentent la sévérité des inondations, en particulier en ville où l’urbanisation favorise le ruissellement. Enfin, nous pouvons citer les vagues de chaleur, qui affectent la santé humaine. Nous l’avons vu pendant l’été 2022 en Europe de l’Ouest, avec une surmortalité importante. »
Pourtant, malgré la multiplication des sommets et des promesses de “zéro émission nette”, les émissions mondiales ont encore augmenté de 2,3 % en 2024, atteignant 57,7 milliards de tonnes de CO₂ équivalent, un nouveau record historique.
Pour le comprendre, cette contradiction entre discours et réalité, il faut revenir à la source : l’Accord de Paris, signé en 2015 et présenté comme le point de départ d’une nouvelle ère de coopération mondiale sur le climat.
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De l’Accord de Paris à la COP 30 : dix ans d’engagements sans contrainte
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Adopté en décembre 2015 lors de la COP 21 à Paris, l’Accord de Paris devait marquer un tournant historique : pour la première fois, tous les pays du monde s’engageaient à limiter le réchauffement “bien en dessous de 2 °C”, et à poursuivre les efforts pour le maintenir sous 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle.
L’ambition était claire : enclencher une dynamique collective où chaque État, selon ses moyens et ses responsabilités, réduirait progressivement ses émissions pour tendre vers la neutralité carbone au milieu du siècle.
Pour concilier diversité des situations et objectif commun, l’accord reposait sur un principe : la responsabilité partagée mais différenciée.
Cela signifiait que les pays historiquement responsables du réchauffement (les pays industrialisés) devaient montrer l’exemple et aider financièrement les pays du Sud, tandis que les autres pourraient progresser plus lentement, à condition de s’engager sur une trajectoire crédible.
L’outil principal de ce système était les « contributions déterminées au niveau national », ou NDC (Nationally Determined Contributions). Dans lesquelles, chaque pays fixe ses propres objectifs de réduction d’émissions, décrit les politiques envisagées pour y parvenir et indique les besoins éventuels de financement ou de transfert de technologies.
Mais l’Accord de Paris a un défaut majeur : il n’impose rien.
Aucune sanction n’est prévue pour les États qui ne tiennent pas leurs engagements, et aucun mécanisme contraignant ne permet de répartir l’effort global.
L’ensemble repose sur la bonne volonté politique et sur un principe de “revue à la hausse” : tous les cinq ans, chaque pays est censé réviser sa NDC pour l’aligner avec les objectifs mondiaux.
C’est ce cycle de révision – censé renforcer l’ambition – qui mène aujourd’hui, dix ans plus tard, à la COP 30, organisée à Belém, au Brésil.
Et le constat est sans appel : le mécanisme n’a pas produit la dynamique affichée. Les émissions continuent d’augmenter parce que le cadre international repose sur des promesses sans contrainte, un système sans planification.
Et selon le rapport Emissions Gap Report 2025 du PNUE seuls 60 pays sur 195 ont soumis ou annoncé leur nouvelle NDC pour 2035, couvrant à peine 63 % des émissions mondiales.
Autrement dit, près de 40 % des émissions planétaires n’ont aujourd’hui aucune trajectoire actualisée.
Et parmi celles qui ont été déposées, la plupart reconduisent les objectifs déjà fixés pour 2030, sans augmentation significative de l’ambition.
Des engagements insuffisants : +2,8 °C en ligne de mire
Notes de lecture : ce graphique du programme des nations unies pour l’environnement (pnue) montre les trajectoires de réchauffement selon quatre scénarios :
- politiques actuelles : si les gouvernements maintiennent leurs politiques sans changement, le réchauffement atteindrait environ +2,8 °c, avec un risque de dépasser +4 °c d’ici la fin du siècle.
- contributions nationales actuelles (anciennes ndc) : si les promesses déposées avant 2025 sont pleinement mises en œuvre, la trajectoire redescend légèrement autour de +2,5 °c.
- nouvelles contributions 2035 (ndc renforcées) : les engagements annoncés dans le cadre de la cop 30, même plus ambitieux, permettraient tout au plus de contenir le réchauffement à +2,3 °c.
- objectifs de neutralité carbone (net zero pledges) : s’ils étaient respectés à long terme, le réchauffement serait limité à environ +1,9 °c, soit toujours au-delà du seuil de +1,5 °c visé à Paris.
dans le scénario le plus optimiste, les chances de rester sous 1,5 °c ne dépassent pas 21 %.
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Le rapport du PNUE dresse une carte contrastée du monde climatique.
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Le Emissions Gap Report 2025 dessine une géographie très contrastée du réchauffement mondial.
D’un côté, les pays industrialisés d’Europe et d’Amérique du Nord enregistrent une légère baisse de leurs émissions ; de l’autre, les grands pays émergents continuent de croître rapidement.
Mais cette apparente opposition masque une réalité bien plus complexe : ce sont souvent les mêmes logiques économiques, pilotées par les mêmes groupes industriels et financiers, qui se jouent simultanément au Nord et au Sud.
En 2024, les émissions mondiales ont augmenté de 2,3 %, passant à 57,7 milliards de tonnes de CO₂ équivalent. Le socle des émissions reste coincé à un niveau extrêmement élevé, autour de 56–58 Gt, sans amorcer de véritable baisse. Autrement dit, même quand la croissance ralentit ou que certaines politiques climatiques sont mises en avant, le volume global de CO₂ rejeté chaque année reste quasiment au plafond, grignotant le budget carbone restant. Dans ce contexte déjà intenable, la hausse 2023-2024 provient pour près de la moitié du changement d’usage des terres et des forêts (LULUCF, pour Land Use, Land Use Change and Forestry). La déforestation, la conversion des sols agricoles et la dégradation des écosystèmes ont ajouté à elles seules près de 770 millions de tonnes de CO₂ dans l’atmosphère. Ce n’est pas un phénomène marginal posé à côté du reste : c’est le premier moteur de la hausse actuelle, qui vient se surajouter à un socle d’émissions déjà beaucoup trop haut. Chaque hectare de forêt détruit en Amazonie, en Indonésie ou au Congo ne représente pas seulement une perte écologique, mais aussi une fuite de carbone colossale, directement liée à la pression de l’agro-industrie, de l’exploitation minière et de l’expansion urbaine.
Viennent ensuite les émissions liées à la croissance industrielle des grandes économies émergentes: +165 Mt pour l’Inde, +126 Mt pour la Chine, +61 Mt pour l’Indonésie.
La Russie, redevenue grande exportatrice d’hydrocarbures, ajoute encore +63 Mt, tandis que les États-Unis repartent légèrement à la hausse (+22 Mt) après une courte stabilisation.
Seule l’Union européenne affiche une baisse (–59 Mt), de l’ordre de 1 %, liée avant tout au ralentissement industriel et à la sobriété contrainte par la crise énergétique. L’essentiel du recul provient du bâtiment et de l’électricité, secteurs où la sobriété contrainte – liée à la crise énergétique et à la modération des consommations – a joué davantage que les politiques publiques. Dans les transports, premier poste d’émission, les chiffres stagnent ; dans l’agriculture et l’industrie, les progrès sont quasi nuls.
Mais ce repli reste fragile et trompeur : les importations carbonées de biens manufacturés en provenance d’Asie ont, elles, continué d’augmenter. Autrement dit, l’Europe exporte une partie de ses émissions autant qu’elle prétend les réduire.
À l’inverse, la Chine, l’Inde et l’Indonésie concentrent l’essentiel de la hausse mondiale. En Chine, la consommation de charbon, encore dominante dans l’électricité et l’industrie lourde, a bondi malgré le développement fulgurant des renouvelables. En Inde, la croissance démographique et la montée en puissance d’un appareil industriel tourné vers l’exportation ont provoqué une hausse inédite de près de 6 % des émissions en un an. L’Indonésie, elle, combine la déforestation massive et l’expansion des mines de charbon, symbole d’une politique énergétique tirée par la demande mondiale de métaux et de produits fossiles.
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Climat et capitalisme : la fuite en avant d’un système à bout de souffle
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Derrière les chiffres, c’est la logique de marché qui continue de régner : le capital financier impose ses priorités aux politiques climatiques.
Les grands groupes énergétiques et industriels, dopés aux profits record, captent les investissements dits “verts” pendant que les États renationalisent leurs pertes et dérégulent les normes environnementales au nom de la compétitivité.
Le PNUE souligne que la majorité des plans climatiques nationaux reposent désormais sur des paris technologiques incertains — captage et stockage du carbone, hydrogène “bas carbone”, compensation forestière — plutôt que sur la réduction réelle des émissions.
Autrement dit, le système remplace la planification écologique par la spéculation sur des solutions futures, confiées aux marchés et aux grandes firmes du numérique, de l’énergie ou de la finance.
Derrière les discours sur la “neutralité carbone”, les mêmes multinationales licencient, délocalisent et externalisent leurs impacts.
Ils transfèrent la responsabilité écologique sur les travailleurs et les territoires. La transition ainsi conçue n’émancipe pas, elle fragilise : au lieu de transformer le système productif, elle accompagne son affaiblissement.
Or, répondre à la crise climatique ne peut se limiter à consommer moins ou différemment.
Cela exige une réorganisation en profondeur du travail, de la production et de la répartition des richesses.
Penser la sobriété, ce n’est pas demander aux salariés de se priver, c’est questionner les besoins réels, l’utilité sociale des productions et le pouvoir de décision sur ce que nous produisons et pour qui.
Dix ans après l’Accord de Paris, le verdict est sans appel : les engagements volontaires ont échoué. Les émissions restent bloquées à un niveau record, la trajectoire pointe vers près de 3 °C, et les catastrophes climatiques se multiplient. La COP30 de Belém en a donné la démonstration : des projets de textes plus ambitieux ont été vidés de leur substance dans les derniers jours, tandis que plusieurs des États qui concentrent le plus d’émissions n’ont même pas joué le jeu, en étant absents des discussions clés ou en refusant de revoir leurs engagements. La décennie qui devait être celle du tournant climatique aura surtout été celle des faux-semblants.
L’échec du cadre actuel ne condamne pas l’idée de coopération internationale, il montre au contraire la nécessité de la refonder sur d’autres bases : des objectifs différenciés mais contraignants, des normes sociales et environnementales opposables, des moyens de contrôle réels, un financement public massif de la transition, en particulier dans les pays du Sud, et une contribution à la hauteur des grandes entreprises et des plus riches. Partout, le mouvement syndical porte cette exigence. Reprendre la main sur la planification écologique, c’est donc d’abord reprendre la main sur ce que nous produisons, comment et pour qui – pour que la réponse à la crise climatique ne soit plus dictée par les intérêts privés, mais par les besoins des populations et la protection du vivant.
L’essentiel à retenir :
- Dix ans après l’Accord de Paris, les engagements volontaires sans contrainte ont échoué : les émissions mondiales restent bloquées à un niveau record (57,7 milliards de tonnes de CO₂e en 2024), le “socle” autour de 56–58 Gt ne baisse pas.
- La hausse récente vient surtout du changement d’usage des terres (déforestation, agriculture industrielle, mines) et de la poursuite d’un modèle productif mondialisé où la demande des pays riches tire les émissions des grands pays émergents et déplace une partie de notre empreinte carbone via les délocalisations.
- Tant que les politiques climatiques resteront dominées par la logique financière et les profits “verts” (captage de carbone, hydrogène, crédits compensatoires…) sans normes contraignantes, financements publics massifs et contrôle des multinationales, la transition continuera de se faire contre les travailleurs et les territoires.
Ce que propose la CGT :
https://www.cgt.fr/actualites/international/environnement-climat/des-cop-nos-lieux-de-travail-la-cgt-porte-les-memes-revendications