Nos propositions pour la reconnaissance de la pénibilité du travail

Publié le 2 nov. 2022
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Depuis 20 ans et la réforme des retraites de 2003, à chaque fois qu'il est question d'une nouvelle réforme, le sujet de la pénibilité est posé par le gouvernement en place.
Avant cette date charnière, les seuls dispositifs de reconnaissance de la pénibilité au travail par un départ anticipé sont ceux de la fonction publique et des régimes spéciaux. Depuis, de nombreuses réformes se sont succédé, remettant à chaque fois le sujet en discussion :

  • La réforme des retraites voté en 2003 prévoit de multiples changements et notamment une négociation sur la pénibilité dans le secteur privé qui aboutit à l’établissement de 12 critères mais échoue en 2008 à cause du patronat.
  • La réforme de 2010 ne met en place qu’une « retraite anticipée pour incapacité permanente », qui est en fait un dispositif de retraite pour invalidité à partir de 60 ans, à la suite d’une exposition à un des 10 critères de pénibilité alors en vigueur.
  • La réforme de 2014 met en place le C3P, compte personnel de prévention de la pénibilité, qui moins de 3 ans après sa création sera transformé en Compte personnel de prévention (C2P) dans le cadre de la « loi travail ».
  • Lors des concertations en 2019, l’objectif du gouvernement était de supprimer le service actif à 80% des fonctionnaires (seuls les fonctions dites « régaliennes » conservant des départs anticipés) pour imposer le C2P et la « retraite pour incapacité permanente » à la fonction publique et aux régimes spéciaux.

Quel que soit l'appellation ou les dispositifs, il s'agit à toujours pour les gouvernements successifs d'éviter une extension des 5 ans de départs anticipés aux salariés du privé et de casser la logique du service actif dans le secteur public.

La CGT s'est toujours opposée aux mesures visant à faire travailler les gens plus longtemps. A l'inverse, elle a toujours été force de proposition pour permettre une juste réparation des salarié.e.s exposé.e.s à la pénibilité au travail, et surtout pour obliger les employeurs à mettre en place de réelles mesures de prévention.

Ce qui existe aujourd’hui
  • Des dispositifs de départs anticipés dans la Fonction publique et les régimes spéciaux. Ils permettent de partir au moins 5 ans avant l’âge légal et sont les seuls qui compensent à cette hauteur la pénibilité du travail et les contraintes d’exercice (missions de service public, astreintes…). Ce sont des droits garantis collectivement.
  • Un compte personnel de prévention (C2P) dans le privé qui individualise l’exposition à la pénibilité en réduisant la portée selon les « taches » exercées avec des seuils d’exposition. Seul 6 critères sont retenus et qui permettent de réduire au maximum de 2 ans la possibilité de partir avant l’âge légal :
    • Travail de nuit,
    • Travail en équipes successives alternantes [posté],
    • Travail répétitif,
    • Travail en milieu hyperbare [hautes pressions],
    • Températures extrêmes
    • Bruit

Ancêtre du C2P, le C3P comptait 4 critères d'exposition supplémentaires (manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux) qui ont été retirés en 2017, et relèvent depuis de la "retraite anticipée pour incapacité permanente" (qui nécessite la reconnaissance d'une maladie professionnelle et un taux d'incapacité permanente d'au moins 10%).

 

Fonctionnement du C2P
Le C2P est un compte individuel plafonné à 100 points, où chaque trimestre d'exposition à un critère rapporte 1 point (2 points par trimestre en cas d'exposition à plusieurs critères simultanément).
Les points peuvent être utilisés pour :
  1. Financer une formation destinée à accéder à un poste moins exposé aux facteurs de risques (20 points obligatoirement si le compte est au maximum),
  2. Pour bénéficier d'un temps partiel sans perte de salaire,
  3. Pour valider des trimestres (10 points par trimestre) permettant de partir en retraite plus tôt (dans la limite de 8 trimestres).

Le C2P en chiffre

  • Au 1er janvier 2022, seul un peu plus de 1 500 000 salariés avaient ouverts leur compte, sur les plus de 25 millions de salariés français
  • 61% des salariés sont exposés à au moins 1 critère de pénibilité soit 13,5 millions de personnes en France métropolitaine en 2017.
  • En 2017, seul 800 salariés du privé seulement sont partis en retraite au titre de la pénibilité au travail puisque les expositions antérieures à 2014 n'étaient pas prises en compte.
  • Moins de 3.500 salariés par an partent avec une "retraite anticipée pour incapacité permanente".

 

Comme son nom l’indique le C2PP est avant tout un compte individuel qui ne lie plus automatiquement la question du travail à la retraite. Il remplit bien l’objectif principal du gouvernement actuel à travers sa réforme : tout le monde doit travailler plus longtemps et pour cela il faut que les départs anticipés là où ils existent disparaissent et que se développe un pseudo prévention sans garantie dans les autres professions.


La CGT a toujours refusé le C2P et combattu les régressions qu’ont apportées les évolutions gouvernementales exonérant les employeurs de leurs responsabilités. En parallèle de ces évolutions, les prérogatives des CHSCT ont été progressivement détricotées, jusqu’à leur suppression récente.

La pénibilité du travail en France

Nombreux sont les salariés à être exposés à des facteurs de pénibilités. Qu'ils soient exposés à un ou plusieurs facteurs, il ne s'agit pas d'une part marginale des salariés et celle-ci croit avec le temps. Aujourd'hui :

  • Près de 2,7 millions de salariés sont exposés à un ou plusieurs agents chimiques cancérigènes,
  • Près de 10,7 millions sont par des contraintes physiques marquées,
  • 4,1 millions par un environnement agressif,
  • 4,8 millions par des rythmes de travail atypiques,
  • Près d'un salarié.e sur 10 travaille de nuit,
  • 1 salarié.e sur 5 travaille en horaires variables d'une semaine à l'autre.

Dans le cas d'expositions aux contraintes physiques importantes, les risques d'une altération de l'état de santé sont majorés, le recours aux arrêts maladie augmente et la survenue d'accident du travail est plus importante. Mais de tels effets sont aussi observés avec l'exposition à un environnement agressif, le travail de nuit, au port répété de charge lourde et aux vibrations mécaniques !


Les conséquences de tels expositions ne se limitent pas à des effets ponctuels mais se maintiennent dans le temps. Ainsi, 15% des salarié.e.s français.e.s se déclarent limités dans les activités ordinaires à cause d'un problème de santé. Enfin, 1 handicap sur 5 est aujourd’hui d'origine professionnelle.

La pénibilité du travail face aux inégalités sociales

Les inégalités de sociales de santé sont largement issues des conditions de travail et de la profession exercée. Elles sont aussi le fruit de processus cumulatifs : la surexposition aux facteurs de pénibilité s’ajoute en général à d’autres risques majeurs pour la santé qui sont eux-mêmes liés aux revenus par exemple la précarité alimentaire.


L'espérance de vie en bonne santé est avant tout affaire de travail. Les disparités entre les cadres et ouvriers sont extrêmement importantes ! En 2020, selon l'observatoire des inégalités, à 35 ans, les hommes cadres ont une espérance de vie supérieur de 6 ans aux ouvriers. Pour les femmes des mêmes catégories, la différence est de 3 ans.


En plus d'être très exposés à des facteurs de pénibilité tout au long de leur carrière, les ouvriers et les employés ont aussi plus de risques que les autres d être en situation de précarité à la fin de leur carrière. Comme nous l'avons montré dans le dossier CGT spécial Bataille des retraites 2022, le sas de précarité, c'est à dire des situations où les individus ne sont ni en emploi ni en retraite, dans lequel se retrouve bon nombre de salariés après 55 ans est aussi affaire d'inégalités sociales. En effet, les ouvriers et les employés y sont bien plus exposés que les cadres et les professions intermédiaires.


Ces catégories de travailleurs et de travailleuses subissent donc à la fois un travail plus pénible tout au long de la vie et ils ont moins de chance de retrouver un travail lorsqu'ils passent la barrière des 50 ans.


Reconnaître la pénibilité du travail, c'est donc aussi permettre à des travailleurs de partir plus tôt pour conserver une bonne santé.

La pénibilité, c'est une affaire de travail et de retraite

Dans son rapport 2022 sur le financement de la Sécurité Sociale, la Cour des Comptes nous offre un formidable exemple de lien entre organisation/conditions de travail et enjeux pour la retraite.


Dans sa partie VI " Les enjeux de la maîtrise des risques professionnels dans les établissements et services pour personnes âgées et personnes en situation de handicap", la Cours statue sur la grande sinistralité AT/MP (Accident du Travail/Maladie Professionnelle) dans le secteur médico-social, public comme privé. Cette prévention de la sinistralité est fondamentale autant pour la qualité de l'accompagnement (notamment au lendemain du scandale ORPEA) que pour le bien-vieillir et la bonne santé de ces professionnels.


En effet, le secteur est caractérisé par nombre d'arrêts de travail, d'accidents du travail et de maladies professionnelles 3 fois supérieurs à la moyenne nationale.


Elle situe l'impact financier de ces mauvaises conditions de travail entre 360 à 800 millions pour la branche AT/MP. Cela impacte grandement le dérouler des carrières des professionnels et leur santé en général (par une forte « usure » physique et psychique), le tout a des conséquences in fine sur la durée de cotisations, la possibilité d'effectuer une carrière complète (et de valider tous les trimestres nécessaires à l'obtention d'une pension pleine) et l'âge de départ à la retraite.


Les carrières des professionnels du médico-social sont donc minées par cette grande sinistralité, une situation aggravée par le système de décote introduit par les réformes précédentes.


Pour la CGT, Il est inconcevable -et même dangereux - d'exiger toujours plus d'années de travail à des professions telles que les infirmier.ère.s, les aide soignantes (…) pour qui la carrière est déjà un chemin semé d'embuches. Cette exigence est à élargir à des répertoires de métiers exposés à la pénibilité et aux contraintes d’exercice.


Pour la CGT, la pénibilité n'est donc pas l'affaire de quelques métiers très spécifiques, c'est un problème auxquels les travailleuses et les travailleurs sont nombreux.euses à faire face.


C’est un angle mort du projet gouvernemental !

La CGT revendique
  • Une prise en compte de la pénibilité qui parte de la réalité du travail, et qui permette de faire reculer très fortement les expositions à la pénibilité, et les dégâts sur la santé qu’elles provoquent.
  • Que l’exposition à la pénibilité soit déterminée à partir de la réalité des conditions de travail spécifiques à chaque métier, avec des garanties collectives et sans des seuils inaccessibles à la quasi-totalité des travailleurs.
  • Un départ anticipé jusqu’à 5 ans avant 60 ans, avec un trimestre de moins par année d’exposition, et jusqu’à 10 ans pour certains métiers. Le calcul de la pension doit aussi être abondé d’un trimestre supplémentaire, pour permettre un véritable droit au départ anticipé.
  • Dans la Fonction publique, le maintien et l’amélioration du « service actif » pour tous les agent.e.s exposé.e.s à la pénibilité , à la dangerosité, aux contraintes d’exercice, du fait de leurs missions de service public.
  • Le maintien des dispositifs de départ anticipé propres aux régimes dit « spéciaux », qui correspondent à des contraintes de service public et d’intérêt général.
  • L’intégration des dispositifs de sortie de l’emploi créés par des accords spécifiques du secteur privé dans un dispositif général garantissant un départ anticipé jusqu’à 5 ans pour pénibilité .

 

La pénibilité doit donc être reconnue dans tous les secteurs professionnels, le maintien du compte prévention pénibilité actuel ou son développement sous cette forme ne répond aucunement à cet objectif.

 

Repère revendicatif