On entend constamment parler de la dette publique mais beaucoup moins de la dette privée, pourtant cette dernière est bien plus importante de par son poids puisqu’elle s’élève à environ 150% du PIB en France comme le montre le graphique plus bas. Intéressons-nous donc de plus près à cette dette.
- La dette privée est beaucoup plus risquée
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Ce poids de la dette privée devrait pourtant bien plus nous inquiéter puisqu’elle est toujours plus risquée que la dette publique. En effet, comme nous l’avons vu dans les fiches précédentes, l’Etat est un agent économique très particulier, notamment puisqu’il est immortel et qu’il peut lui-même décider de ses ressources en levant l’impôt. Au contraire, les ménages et la plupart des entreprises ont une durée de vie limitée, ils doivent donc rembourser leurs dettes et ne peuvent la faire rouler.
Source : Banque de France
La plupart des crises économiques s’expliquent d’ailleurs par un excès de dette privée et non de dette publique. L’exemple le plus connu dans l’histoire économique récente étant évidemment la crise de 2007-2008, dites des « subprimes » qui étaient des prêts hypothécaires relativement risqués car les emprunteurs avaient des ressources très faibles et des situations précaires.
Désormais, aux Etats-Unis, c’est la dette privée des étudiants qui menace l’économie, au point que l’administration Biden réfléchirait à l’annulation d’une partie de cette dette.
En France, dans le détail, la dette des sociétés non financières s’élève à 85% du PIB et celle des ménages à 65%.
La dette des sociétés non-financières s’explique notamment par celle des multinationales qui ont notamment beaucoup recours à l’endettement pour financer leur croissance externe, c’est-à-dire le rachat d’autres entreprises.
- La substitution entre dette publique et dette privée
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On qualifie souvent les pays qui ont une dette publique faible de pays « frugaux », renvoyant l’idée qu’il s’agit de pays rigoureux et qu’au contraire les pays avec une dette publique plus importante sont des pays dispendieux et irresponsables. C’est une vision erronée de la situation. En effet, certains de ces pays compensent leur faible endettement public par un endettement privé important.
Comme le montre le graphique ci-dessous qui correspond aux données de 2019, les Pays-Bas avaient un endettement public très faible mais un endettement privé très fort, notamment l’endettement des ménages qui correspondait à plus de 100% de PIB contre 61,7% en France. A l’inverse, les grecs et les italiens, souvent pointés du doigt à cause de leur dette publique important sont en réalité moins endettés que les hollandais et pas plus que les norvégiens.
Source : Banque des règlements internationaux (BRI)
L’endettement joue un rôle très important dans le financement de l’économie et la stimulation de l’économie, les pays avec un faible endettement public compensent donc par un endettement privé plus important.
L’Allemagne qui ne figure pas sur le graphique parvient à avoir à la fois un endettement public et un endettement privé faibles tout en affichant de bonnes performances économiques. Cette situation particulière n’est possible que parce que l’Allemagne a une balance commerciale[1] fortement excédentaire, c’est-à-dire que son économie est tirée par les autres économies et donc par les dettes des autres pays. Il s’agit d’une attitude non-coopérative qui ne peut donc pas servir de modèle puisque les excédents des uns sont les déficits des autres, c’est donc un jeu à somme nulle.
[1] La balance commerciale correspond à la différence entre les exportations et les importations de biens. Une balance excédentaire signifie que l’Allemagne importe beaucoup plus qu’elle n’exporte.
- Les grandes entreprises, friandes de l’endettement
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Le patronat se plait à pointer du doigt la dette publique, pourtant les actionnaires sont très friands de l’endettement pour financer leurs activités. Les raisons de leur endettement est évidemment moins noble que la dette publique puisque l’objectif est pour eux de maximiser le rendement de leur fonds propres c’est-à-dire de ce qu’ils possèdent vraiment. On connait par exemple le cas des LBO (Rachats par effet de levier) qui consistent à racheter des entreprises en s’endettant un maximum, les dividendes servant ensuite à rembourser cet endettement.
Mais même sans aller jusque-là, entre 2018 et 2019, l’endettement net du CAC 40 est passé de 161 à 199 milliards alors même que ces entreprises ont effectué plus de 80 milliards d’euros de bénéfices en 2019.
On voit donc que l’endettement est simplement un outil de financement privilégié pour maximiser les revenus des actionnaires. Cependant cela fragilise l’entreprise en cas de coup durs et la rend dépendante de ses créanciers. De plus les intérêts et échéances d’emprunts à honorer apparaissent comme des impératifs de résultats à faire pour l’entreprise, utilisés notamment pour mettre la pression sur les salariés.
La dette privée est donc beaucoup plus problématique que la dette publique, de par son ampleur mais également de par ses justifications et le risque qui lui est associé.