Mémo éco - Bilan de la politique fiscale d’E.Macron ; le président des riches, sans appel

Publié le 7 sep. 2021
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L’institut Montaigne tente de faire le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment en matière fiscale. Si nous partageons rarement les analyses et les recommandations de ce think tank libéral [1], ce travail essentiellement descriptif est relativement intéressant. Notons au passage que ce chapitre sur la fiscalité a été écrit par François Ecalle, fondateur du site Fipeco, consacré aux questions relatives aux finances publiques...

L’institut Montaigne tente de faire le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment en matière fiscale. Si nous partageons rarement les analyses et les recommandations de ce think tank libéral [1], ce travail essentiellement descriptif est relativement intéressant.

Notons au passage que ce chapitre sur la fiscalité a été écrit par François Ecalle, fondateur du site Fipeco, consacré aux questions relatives aux finances publiques.

Nous avons déjà étudié individuellement la plupart de ces mesures, d’où des renvois à des publications plus spécifiques, l’intérêt est ici d’avoir une vision d’ensemble de cette politique fiscale.

Des baisses d’impôts massives pour les entreprises…

La pérennisation du CICE

François Hollande restera comme le président du CICE, Emmanuel Macron est lui celui de sa transformation en exonérations pérennes de cotisations. En effet, jusque 2019, le CICE était versé sous forme de crédit d’impôt correspondant à environ 6% de la masse salariale brute éligible, soit les salaires n’excédant pas 2,5 Smic. Depuis 2019, c’est une exonération de 6 points de cotisations d’assurance maladie. Cette réforme a un effet positif sur la trésorerie des entreprises puisqu’avant les entreprises payaient les cotisations puis été remboursées ensuite, aujourd’hui elle n’ont plus à payer ces cotisations.

 

Cette pérennisation est intervenue alors même que les études commandées par France Stratégie ne parviennent pas à établir d’effets positifs solides sur l’emploi. Les études les plus favorables au CICE sont de l’ordre de 150 000 emplois créés ou sauvegardés alors que cela coûte environ 20 milliards d’euros par an.

 

La baisse des impôts « de production »[1]

 

Dans son « plan de relance », le gouvernement a inscrit une baisse de la CVAE et de la CFE (Cotisation foncière des entreprises). Cette baisse d’impôt se chiffre à environ 10 milliards d’euros par an. Le gouvernement avait annoncé que cette baisse s’élevait à 20 milliards sur 2 ans dans sa communication sur le plan de relance mais en réalité la pérennité de cette baisse est déjà prévue.

 

L’Institut Montaigne souligne que cela ne crée pas de simplification puisque ces impôts subsistent, les obligations déclaratives des entreprises sont donc toujours les mêmes.

 

L’une des justifications apportée par le gouvernement était qu’en France les impôts de productions[2] étaient supérieurs à ses voisins, mais c’est sans compter que les subventions à la production sont également bien supérieures en France. Or il n’y a pas eu de baisse de ces subventions pour compenser la baisse d’impôts.

 

Notons enfin que les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000€ sont exonérés de la CVAE, la baisse de cette dernière ne leur a donc aucunement profité.

Baisse de l’impôt sur les sociétés

Dès son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron s’est empressé de faire baisse le taux de l’impôt sur les sociétés pour le faire passer de 33,3% en 2017 à 25% à 2022 avec une baisse progressive durant ce laps de temps. Là aussi, la justification est un alignement sur nos « partenaires » (en réalité on devrait dire « concurrents ») européens, pour des questions de « compétitivité » et « d’attractivité ». Cette compétition entre modèles fiscaux à fait baisser le taux moyen de l’impôt sur les sociétés de 40% en 1993 à moins de 28%[3] en 2020 dans les pays du G20.

Le coût de cette baisse d’impôt était évalué à 11 milliards d’euros en 2018, selon l’Institut Montaigne, ce chiffre « devra sans doute être réestimé », il serait en réalité plus important, notamment du fait des bénéfices importants des entreprises[4].

Cette baisse, confortée en pleine crise sanitaire ne profite par définition, qu’aux entreprises qui font des bénéfices. Et pour les PME qui font un chiffre d’affaires hors taxes inférieur à 10 millions d’euros, le taux d’imposition n’est que de 15% sur leurs 38 120 premiers euros de bénéfices, ce ne sont donc pas ces petites entreprises qui vont profiter de cette mesure.

La note indique « l’effet direct d’une baisse de l’IS est de permettre aux sociétés de distribuer plus de dividendes à leurs actionnaires ou de permettre à ceux-ci de dégager des plus-values plus importantes. Rappelons que les actions sont surtout détenues par les ménages les plus aisés. ». Nous ne l’aurions pas mieux dit.

Comme nous allons le voir, cela n’est pas le seul cadeau fait par Emmanuel Macron aux actionnaires.


[1] Voir page 50 du Baromètre éco – Indicateurs économiques et sociaux de la CGT
[2] Voir Mémo éco – Bénéfices du CAC 40 : « de quelle crise parlez-vous ? »
[3] Voir notamment article Lettre éco Juillet/Août 2020 : Maintenir et développer les impôts de production
[4] On parle d’impôts « de production » pour les impôts qui n’ont pas de lien direct avec le niveau de production et la performance de l’entreprise. En réalité la CVAE est calculée sur la valeur ajoutée, c’est donc assez abusif d’en parler comme un impôt « de production ».

... et pour le capital

Le Prélèvement forfaitaire unique[1] (la flat-tax)

 

La réforme du PFU (Prélèvement forfaitaire unique) a eu pour objet de réduire l’imposition des revenus du capital. Avant cette réforme, les dividendes étaient soumis à l’impôt sur le revenu (après abattement de 40%). Ainsi, l’imposition sur le revenu pouvait atteindre 45% pour les plus fortunés en plus d’un prélèvement fiscal de 15,5%. Hors CEHR[2], l’imposition totale des dividendes s’élevait à environ 37,4% après abattements, déductions,etc. Avec le PFU, ce taux est plafonné à 30%.

 

Il est pour le moment difficile de savoir combien coûte réellement cette mesure puisqu’en réalité les entreprises ont baissé leurs dividendes en 2017 notamment afin d’en verser beaucoup plus (+65% de dividendes reçus par les ménages entre 2017 et 2018) en 2018 pour profiter de cette baisse de la fiscalité. Ainsi l’assiette taxable a été beaucoup plus importante. Le projet de loi de finances 2018 estimait toutefois l’effet à 1,5 milliards d’euros, cela pourrait être plus à mesure que les dividendes augmentent.

 

Comme le rappelle bien la note : « Les deux tiers des dividendes reçus par les ménages en 2018 l’ont été par 0,1 % des foyers fiscaux. Cette réforme est favorable aux ménages les plus aisés... »

 

La transformation de ISF[3] en IFI[4]

 

Plus connue et moins technique que le Prélèvement forfaitaire unique, la transformation de l’ISF en IFI continue de faire débat dans l’opinion publique.

 

Comme son nom l’indique, le passage de l’ISF à l’IFI a fait que cet impôt est désormais concentré sur le patrimoine immobilier. Cela exclue donc de l’assiette taxable les actions et l’ensemble du patrimoine financier. Or on sait que les plus fortunés ont un patrimoine très diversifié avec une faible part dans l’immobilier. Ainsi en France en moyenne, le patrimoine immobilier correspond à 61% du patrimoine brut des ménages. Pour les 1% les plus fortunés, l’immobilier ne représente que 30% de leur patrimoine[5].  Une large partie leur patrimoine échappe donc à cet impôt.

 

Concrètement, le nombre de foyers fiscaux assujettis est passé de 358 000 pour l’ISF à seulement 133 000 pour l’IFI. Et l’IFI n’a rapporté que 1,3 milliards contre 5,1 milliards pour l’ISF,  le coût de cette réforme a donc été de 3,8 milliards pour les finances publiques en 2018, il est certainement un peu plus élevé désormais.

 

L’étude met en avant qu’il pourrait y avoir des effets sur l’économie mais seulement à long terme. De plus, les plus fortunés sont freinés dans leur investissement du fait des appels fréquents dans le débat public pour un retour à l’ISF. Il faudrait donc donner un blanc-seing à durée indéterminée aux plus riches pour espérer le « ruissellement » de quelques miettes pour le reste de la population.

 

Comme le rappelle la note, les 10% les plus riches possèdent près de la moitié du patrimoine en France et les 1% en possèdent 16%, cette réforme a donc profité à une toute petite minorité, déjà bien lotie.


[1] Voir article Lettre éco octobre 2020 : Prélèvement forfaitaire unique : Explosion des dividendes
[2] Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, de 3% ou 4% pour un revenu fiscal de référence supérieur respectivement à 250 000€ ou 500 000€ par personne.
[3] ISF: Impôt de solidarité sur la fortune – IFI : Impôt sur la fortune immobilière
[4] Voir article Lettre éco septembre 2020 : Fin de l’ISF et PFU, les effets de ces cadeaux aux plus riches confirmés
[5] Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4265758

Des mesures diverses pour les ménages

La bascule des cotisations salariales vers la CSG

 

La note met en avant la baisse des cotisations salariales qui ont conduit à une augmentation de salaire net. La baisse a été de 3,15 points du salaire brut et a été compensée par une majoration de la CSG de 1,7 point, le gain net pour les salariés a donc été de 1,45% du salaire brut, soit 1,8% du salaire net.

 

Tout d’abord, cela contribue à la bascule du financement de la Sécurité sociale via l’impôt (la CSG est un impôt) plutôt que par les cotisations sociales[1], ce qui remet en cause les fondements du paritarisme et la gestion de la Sécurité par les travailleur-se-s. De plus, la CSG porte sur l’ensemble des revenus notamment sur les pensions de retraites. Cette augmentation du salaire net de 1,8% a donc été payée en partie par les retraités. Il a fallu une mobilisation massive, notamment des retraités, pour que les retraites les plus modestes soient épargnées de cette augmentation de la CSG.

 

Il faut garder à l’esprit que les cotisations salariales sont une partie intégrante du salaire, elles sont la part socialisée du salaire. Réduire le taux des cotisations salariales permet donc certes un gain de pouvoir d’achat immédiat mais à quel prix ? Celui du moindre financement de notre système de sécurité sociale et donc des prestations (en nature ou en espèces) fournies par ce dernier.

 

La stagnation des salaires que l’on connait accroit les difficultés du quotidien et limite la vision à long terme. Ainsi, les salarié-e-s sont plus réceptif-ve-s à ce genre de « cadeaux » immédiats qu’ils paieront en fait plus tard (et même maintenant dans certains cas) par une Sécurité sociale affaiblie.

 

On peut d’ailleurs ajouter sur ce point la désocialisation et la défiscalisation des heures supplémentaires qui ne sont pas évoqués dans la note de l’Institut Montaigne. Il y a d’une part un subventionnement par l’État des heures supplémentaires, ce qui est délétère pour le partage du travail, d’autant plus dans un contexte de chômage de masse. De plus, ces exonérations de cotisations ne sont pas compensées par l’État à la Sécurité Sociale. Cela représente plus de 2 milliards d’euros par an, sans compter les 2 milliards de pertes d’impôts sur le revenu pour l’État lui-même[2]. Lorsque l’on cherche l’argent qu’il manque à nos hôpitaux par exemple, en voici une partie.

 

Taxe d’habitation[3]

 

C’était l’un des engagements du candidat Macron, exonérer de taxe d’habitation 80% des foyers fiscaux. Cette réforme, contrairement aux multitudes d’autres présentées plus haut devait profiter exclusivement aux ménages les moins fortunés, ce qui devait donc permettre de réduire les inégalités.

 

Mais le Président Macron a profité d’un avis du Conseil Constitutionnel pour exonérer également les 20% des plus riches alors qu’une modulation du dispositif était possible.

 

Le résultat de cette suppression totale de la taxe d’habitation, pour les résidences principales, est sans appel. Même si, comme le souligne la note de l’Institut Montaigne, la valeur administrative des biens est parfois déconnectée de leur valeur de marché, les 20% les plus riches payaient tout de même en moyenne 2 fois plus que les moyenne des autres 80% de la population.

 

Au total cette réforme coûte donc 18 milliards d’euros aux finances de l’État. Elle n’en aurait couté que 10 milliards si elle n’avait pas été étendue aux 20% les plus riches. Les 20% les plus riches ont donc finalement capté 45% des économies d’impôts liés à cette réforme alors qu’ils ne devaient pas être concernés.

 

De plus ces 18 milliards d’économies sont compensés par une réduction de la qualité des services publics qui eux profitent davantage aux plus modestes. Au total, on a donc une réforme qui vient augmenter les inégalités plutôt que de les réduire comme c’était l’un de ses objectifs initiaux.

 

Taxe carbone

 

Le gouvernement avait décidé en 2018 de multiplier par 3 la taxe carbone durant sa mandature. Comme on s’en souvient, cela a été un élément déclencheur de la crise des gilets jaunes.

 

L’une des problématiques majeures est cette taxe est dégressive c’est-à-dire qu’elle représente une plus grande part du revenu pour les plus modestes que pour les plus riches. Plusieurs facteurs mènent à cela, tout d’abord parce que les déplacements en véhicule personnel sont indispensables dans les milieux ruraux, où les salaires sont moins élevés, faute d’une offre satisfaisante de transports publics notamment. De plus, comme la plupart des dépenses contraintes, les transports représentent une part moins importante pour les plus riches qui peuvent allouer une plus grande part de leurs revenus aux loisirs.

 

Or, malgré ce constat, le gouvernement n’avait prévu aucune compensation pour les ménages modestes qui auraient été fortement touchés par cette hausse. C’est d’autant plus problématique que l’on sait que la responsabilité dans le changement climatique est fortement fonction du revenu[4].

 

Si personne ne conteste la gravité du changement climatique et la nécessité de prendre des mesures radicales rapidement, il y a d’autres mesures plus prioritaires à prendre que de s’attaquer aux ménages modestes.

 

Une fois de plus, comme pour la hausse de la CSG, sans une mobilisation massive, les mesures souhaitées par le gouvernement s’en prenaient aux ménages les plus modestes.

Conclusion

Cette synthèse, certainement pas exhaustive, de la politique fiscale de ce quinquennat nous permet de rappeler que « Macron, président des riches » n’est pas qu’un slogan mais renvoie bien à une réalité objective.

 

Plutôt que de pousser des cris d’orfraie à la simple évocation d’un déficit public, il convient déjà de voir ce qui explique ce déficit. Au total, ce sont des dizaines de milliards d’euros de réduction d’impôts octroyées aux entreprises et au capital.

 

Il est nécessaire de revenir rapidement sur ces cadeaux fiscaux et même d’aller plus loin, à la fois sur la taxation des plus riches mais également sur la lutte contre l’évasion fiscale.

 

Enfin, on peut dire qu’Emmanuel Macron a bel et bien renvoyé l’ascenseur à ceux qui l’ont porté au pouvoir, notamment en finançant sa campagne électorale, c’était un investissement plus que rentable pour ces grandes fortunes[1]


[1] https://www.franceculture.fr/politique/comment-800-grands-donateurs-ont-finance-la-moitie-de-la-campagne-demmanuel-macron

Repère revendicatif