Mémo Éco - Réduction du temps de travail et sécurité sociale professionnelle : La seule voie possible pour faire reculer le chômage et la précarité

Publié le 4 juil. 2022
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Particulièrement sensibles en période électorale, les chiffres du chômage sont scrutés à la loupe. Alors même que nos gouvernants martèlent à qui veut bien l’entendre que la situation de l’emploi s’améliore du fait d’un chômage orienté à la baisse, rien ne semble plus incertain. D’abord, parce que cette baisse se fait en trompe l’œil à plusieurs niveaux, mêlant hausse de la précarité sous toutes ses formes (sous-emploi, contrats court, auto-entreprenariat, etc.), et augmentation subventionnée de l’apprentissage. Ensuite, parce que le subventionnement massif de l’emploi et du capital lié aux mesures Covid va nécessairement toucher à sa fin. Face à ce constat, une seule vraie réponse demeure : le partage du travail à travers une baisse de la durée du travail organisée/socialisée.

L’emploi ne va pas si bien que ça

Généralement, nos politiques s’appuient sur le taux de chômage tel que défini par le Bureau international du travail[1]. Pourtant, lorsqu’il n’est associé à aucun autre indicateur, le taux de chômage ne dit rien de la situation de l’emploi. En effet, il suffit par exemple d’avoir travaillé une heure pour ne pas être compté comme chômeur au sens du Bureau international du travail, et il en va de même pour une personne qui décroche un CDD ou une mission d’intérim, aussi courte soit-elle. En l’état, il n’est donc pas satisfaisant.

L’autre manière de mesurer le chômage en France est celle utilisée par Pôle Emploi, comprenant cinq catégories (voir encadré 1). Mais, puisque la catégorie A est plus scrutée que les autres, c’est celle que les gouvernants cherchent à réduire le plus, en déversant des chômeurs vers les quatre autres catégories. Habile non ? C’est ainsi que lorsqu’on compare le niveau actuel de chacune des catégories à leur niveau juste avant la pandémie (voir Figure 1), la catégorie A est en baisse de -11 %, mais toutes les autres sont en hausse !

Encadré 1 : Catégories du chômage au sens de Pôle emploi

La catégorie A comprend les personnes en recherche activité, sans aucune activité au cours du dernier mois.

Les catégories B et C contiennent les personnes qui ne sont pas dans la catégorie A du fait d’une activité partielle au cours du dernier mois (inférieure à 78h pour la catégorie B et supérieur à 78h pour la catégorie C).

La catégorie D comprend les personnes n’ayant pas d’emploi mais non-immédiatement disponible car en cours de formation, de stage, etc.

La catégorie E contient des personnes en recherche d’emploi mais travaillant dans le cadre d’un contrat aidé par exemple.

Figure 1

Source : Pôle Emploi

Reprise de l’emploi : précaire ou subventionné

Deux autres facteurs viennent réduire artificiellement le chômage. D’abord, les créations de micro-entreprises[2], qui n’apportent par définition aucune des garanties offertes par un contrat salarié en bonne et due forme (protection de l’emploi, protection sociale, etc.) sont en nette hausse (+6,6 %) entre mars 2021 et mars 2022. L’autre levier est la forte augmentation de l’apprentissage, sous perfusion massive d’argent public. Comme le montrent des travaux récents de l’OFCE[3], le dynamisme de l’emploi s’explique au moins en partie par la mise en place d’une prime de 8 000 € à l’embauche d’un apprenti !

Ce subventionnement massif de l’emploi et du capital est bien sûr en lien avec les aides d’urgence débloquées pendant la période Covid. Si elles ont permis d’amortir le choc et de préserver de nombreux emplois, en témoignent le faible niveau des défaillances d’entreprises, très en deçà du niveau « normal » d’avant crise, il faut maintenant s’interroger sur la manière dont va être gérer l’arrêt de ces aides. Pour le dire autrement, le pire de la crise reste à venir, dans le sens où le retour de bâton en matière de défaillances d’entreprise et de destructions d’emploi risque fort d’être vigoureux.

Les créations actuelles sont-elles les destructions futures d’emploi ?
Cela est d’ailleurs sans compter la situation de « « suremploi » que connaissent de nombreuses entreprises, qui gardent des salarié-es en prévision d’une reprise qui n’arrivera peut-être pas. Comme l’expliquent les chercheurs de l’OFCE, cette situation va nécessairement se traduire par une forme de rattrapage, débouchant sur une croissance moins riche en emploi et une hausse probable du chômage. C’est d’ailleurs ce que semblent montrer les chiffres de l’emploi salarié : après un pic de créations d’emploi au T2 2021 (+1,2 %), le rythme ralenti progressivement depuis (+0,8% au T3, +0,6% au T4, et enfin +0,3% au T1 2022). Le problème fondamental de la gestion de l’emploi par le patronat ne pourra être résolu sans contester cette gestion, au profit d’une sécurité sociale professionnelle.
La qualité de l’emploi : l’impensé permanent

Si l’ensemble des éléments évoqués ci-dessus viennent minorer la solidité du niveau d’emploi affiché par nos gouvernants, il faut aussi rappeler que la qualité de l’emploi est complètement absente de leur discours. Pourtant, il n’y a pas de quoi se réjouir d’un taux de chômage qui baisse, au profit d’une multiplication des horaires atypiques (travail de soir, nuit, week-end) ou de conditions de travail dégradées (port de charges lourdes, exposition à des produits dangereux, station debout, etc.). Et c’est bien là les caractéristiques premières des métiers d’agents de sécurité, d’agent de propreté ou encore d’aide à domicile, dont le dynamisme est sans égal, constamment alimenté par les conseillers de Pôle Emploi.


[1] Au sens du BIT, un chômeur est une personne en recherche active, disponible dans les deux semaines, et qui n’a pas travaillé au cours de la semaine précédente. Cette définition est une convention, commune à chaque pays et qui permet ainsi les comparaisons internationales. Le taux de chômage s’obtient ensuite en divisant le nombre de chômeurs par la population active.

[3] https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/le-mystere-autour-de-lemploi-sepaissit/

La diminution organisée du temps de travail est nécessaire

L’économie française réussit l’exploit de créer de l’emploi avec un volume de travail dans l’économie en stagnation.[1] Cela ne tient en rien du miracle mais est le résultat de la baisse moyenne du temps de travail.

Comme nous l’avions signalé dans la Lettre éco d’octobre-novembre 2021[2], au plus fort de la crise sanitaire, l’ajustement sur l’emploi s’est fait essentiellement avec le chômage partiel qui a fortement réduit la durée moyenne. Si le temps de travail n’avait pas servi de variable d’ajustement, c’est l’emploi qui aurait assumé ce rôle, avec des centaines de milliers de chômeur-se-s supplémentaires à la clé.

Depuis plusieurs mois, le chômage partiel recule, il concernait 227 000 salarié-e-s en mars 2022 et cela représentait 57 000 emplois. C’est bien plus qu’avant la crise sanitaire mais ces chiffres baissent de mois en mois. L’explication de cette baisse du temps de travail moyen sur le dernier trimestre doit donc se trouver ailleurs, on peut penser à moindre recours aux heures supplémentaires par exemple mais cela reste à confirmer.

Selon les calculs de l’OFCE, l’ajustement par la durée du travail a permis de sauvegarder 400 000 emplois depuis 2019.

Ces chiffres viennent confirmer ce que nous portons depuis de nombreuses années ; la réduction du temps de travail est le seul moyen de créer de l’emploi à long terme. Cela veut dire que la revendication des 32h est bien la plus pertinente dans la période.

La durée du travail doit être ajustée à la baisse pour créer de l’emploi et permettre à chacun et chacune de trouver un emploi lui permettant de vivre dignement. Il est indispensable d’organiser collectivement le partage du temps de travail plutôt que de se le faire imposer par le capital. Le capital répartit le travail selon ses seuls intérêts, avec des conséquences sociales délétères (chômage, temps partiels subis et heures supplémentaires imposées). Arracher au patronat la gestion de l’emploi, de la durée et de l’organisation du travail, voilà l’enjeu. Deux projets de société se font face ; celui de la mise en sécurité sociale professionnelle pour la CGT, et celui de l’extension de la précarisation pour le patronat et le gouvernement.


[1] Le volume de travail correspond au nombre d’heures travaillées dans l’économie, c’est-à-dire le nombre de travailleur-se-s en emploi multiplié par leur durée moyenne de travail

A retenir :

  • Les inscrits à Pôle Emploi reculent en catégorie A mais augmentent dans toutes les autres, signe d’une reprise dégradée de l’emploi0 ;
  • L’apprentissage et les micro-entreprises expliquent une large part des créations d’emplois ;
  • La qualité de l’emploi n’est jamais prise en compte ;
  • Des emplois ont été sauvegardé pendant la crise grâce à l’activité partielle ;
  • Cela confirme le lien fort entre durée du travail et chômage ; les 32h sont la clé des créations d’emplois ;
  • Contre la précarisation du travail, nous opposons la mise en sécurité sociale professionnelle.

Repère revendicatif