Lorsque l’employeur prend des dispositions insuffisantes pour protéger la santé des travailleurs face aux risques liés à l’épidémie Covid-19, il est possible de demander en référé qu’il lui soit ordonné de procéder à une évaluation des risques sérieuse en association avec le CSE, à la fermeture de l’entreprise ou de certains établissements, ou encore de restreindre son activité à ce qui est essentiel.
Plusieurs actions judiciaires allant dans ce sens ont été gagnées ces derniers jours en particulier celle concernant l’entreprise Amazon. Des éléments de procédure et les principaux arguments sont détaillés dans cette note. Vous trouverez en téléchargement 3 ordonnances de tribunaux judiciaires concernant Amazon, Carrefour Market et La poste.
- Procédure
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Le tribunal judiciaire qui est compétent pour les litiges collectifs de travail est saisi en référé par un syndicat.
Le syndicat agit pour la défense des intérêts collectifs de la profession qu’il représente (art. L. 2132-3 du Code du travail). S’agissant d’une question de santé et de sécurité des travailleurs, l’intérêt à agir du syndicat ne faisait aucun doute.
A savoir que l’Inspecteur du travail est également compétent pour saisir le tribunal judicaire en référé en matière de risque pour la santé des travailleurs (L. 4732-1 du Code du travail). Dans ce cas-là, le syndicat pourra se porter intervenant volontaire afin de faire valoir ses arguments propres et/ou de soutenir l’action engagée (cf TJ de Lille).
Dans le cadre d’une action en référé, le tribunal judiciaire est compétent pour prescrire des mesures pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite (art. 835 du Code de procédure civile).
La décision est de droit exécutoire à titre provisoire (art. 514 du Code de procédure civile).
- Demandes et arguments
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C’est l’obligation de sécurité de l’employeur à l’égard des travailleurs qui constitue le fondement de ces actions. À ce titre l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger leur santé (art. L. 4121-1 du Code du travail). De nombreuses dispositions du Code du travail concourent au respect de cette obligation, notamment la mise en œuvre des principes généraux de prévention de l’art. L. 4121-2 du Code du travail, les réunions du CSE ou de la CSSCT, l’obligation d’évaluation des risques professionnels et de mise à jour du DUERP, etc.
Dans son Questions/Réponses pour les entreprises et les salariés, le ministère du Travail énumère certaines obligations de l’employeur dans le contexte de l’épidémie Covid-19. Ainsi, l’employeur doit :
- procéder à l'évaluation des risques encourus sur les lieux de travail qui ne peuvent être évités en fonction de la nature du travail à effectuer;
- déterminer, en fonction de cette évaluation les mesures de prévention les plus pertinentes ;
- associer à ce travail les représentants du personnel ;
- solliciter lorsque cela est possible le service de médecine du travail qui a pour mission de conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants et, à ce titre, de préconiser toute information utile sur les mesures de protection efficaces, la mise en œuvre des « gestes barrière » ;
- respecter et faire respecter les gestes barrière recommandés par les autorités sanitaires.
Si le respect des recommandations du gouvernement ne permet pas de considérer que l’employeur a respecté son obligation de sécurité, le fait de ne pas respecter ces recommandations caractérise le manquement de l’employeur à son obligation. Il est donc possible de s’appuyer sur ces recommandations, comme l’a fait le syndicat requérant.
Le Tribunal de Nanterre a accueilli différentes demandes formulées par le syndicat contre l’employeur, notamment :
- ne pas avoir procédé à une évaluation de manière systématique des risques liés à la pandémie pour chaque situation de travail et de ne pas y avoir associé les représentant du personnel ; l'employeur avait procédé à une évaluation des risques et pris certaines mesures pour protéger les salariés, mais il ne justifiait pas avoir associé les CSE des différents sites en respectant les procédures applicables ;
- ne pas avoir suffisamment évalué le risque de contamination à l'entrée des différents sites où les salariés étaient contraints d’emprunter un portique tournant ;
- ne pas avoir suffisamment évalué le risque de contamination résultant de l’utilisation des vestiaires, y compris après avoir pris certaines mesures liées aux vestiaires ;
- ne pas avoir justifié de l’intégralité des plans de prévention avec les entreprises extérieures, en particulier concernant le nettoyage des locaux ;
- ne pas avoir évalué préalablement les risques relatifs à la manipulation des colis avant de définir les mesures de sécurité et de prévention nécessaires ;
- non-respect ponctuel des mesures de distanciation sociale ;
- des mesures de formation des personnels à la sécurité et à la protection insuffisantes et inadaptées, malgré des actions d’information et de communication ;
- l’absence d’évaluation des risques psychosociaux liés à l’épidémie.
Le TJ de Lille reproche quant à lui notamment à l’employeur de ne pas avoir mis en place des dispositifs dissuasifs propres à limiter effectivement et radicalement la possibilité pour les clients d’entrer dans la distance sociale de sécurité des salariés amenés à les croiser.
Plusieurs points retiennent l’attention. D’abord, bien que l’employeur ait procédé à l’évaluation des risques et ait pris des mesures de protection, il reste en tort s’il n’a pas associé les représentants du personnel en respectant les règles applicables. En effet, l’urgence et la gravité de la situation ne peuvent justifier que l’employeur s’affranchisse des règles applicables. Au contraire, seul le respect de ces règles permet de garantir la santé et la sécurité des travailleurs. Ensuite, l’employeur doit faire preuve de méthode. Il ne s’agit pas de prendre des mesures avant d’avoir évalué les risques. Et après avoir pris des mesures il convient de les évaluer à nouveau. De plus, les mesures prises par l’employeur doivent être effectives, il ne s’agit pas de faire de la communication mais d’agir. Pour cela les salariés doivent être non seulement informés, mais aussi formés, des dispositifs d’ordre organisationnels ou matériels peuvent également contribuer au respect des mesures d’hygiène. Enfin, les troubles psychosociaux que créé l’épidémie chez les travailleurs ne doivent pas être sous-estimés, c’est une réalité qu’il convient d’évaluer et de prévenir.
- Condamnations
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Le tribunal de Nanterre condamne l’employeur à procéder à l'évaluation des risques professionnels inhérents à l'épidémie de covid-19 en y associant les représentants du personnel ainsi qu’à mettre en œuvre les mesures de protection de la sécurité et de la santé des salariés en découlant (mesures prévues à l’article L 4121-1 du Code du travail).
Dans l’attente de la mise en œuvre de ces mesures, le tribunal condamne l’employeur à restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules activités essentielles (réception des marchandises, de préparation et d'expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux), sous astreinte de 1 million d’euros par jour de retard et par infraction constatée.
Ordonnance du Tribunal judiciaire de Paris du 9 avril 2020 :
la SA La Poste condamnée à évaluer les risques spécifiques liés au Covid-19Le Tribunal judiciaire de Paris a été saisi en référé par un syndicat de l’entreprise.
Le Tribunal a accueilli la plupart des demandes du syndicat. Il condamne l’employeur à élaborer un Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) en association, autant que possible, avec la médecine du travail, les instances représentatives du personnel, notamment les CHSCT, les organisations syndicales et les personnels concernés en procédant à une évaluation détaillée de chacun des risques professionnels spécifiques à l’épidémie de Covid-19.
recensement de l’ensemble des activités postales estimées essentielles et non essentielles à la vie de la Nation et les conditions d’exercice pendant l’épidémie des activités postales essentielles à la vie de la Nation. Une partie des activités de La Poste relève de missions de service public et échappent donc aux mesures de confinement et de non-regroupement qui ont été instaurées. Au-delà des spécificités de l’activité de La Poste, le Tribunal admet que les activités non essentielles puissent être suspendues lorsque l’employeur n’est pas en mesure de garantir la santé et la sécurité des travailleurs. L’évaluation doit également comprendre notamment les mesures adoptées dans les cas d’infection signalées, qu’elles soient avérées ou suspectées, tant en ce qui concerne les personnels qu’en ce qui concerne les locaux et les mobiliers professionnels, ainsi que les troubles psychosociaux résultant de l’épidémie.
Vous trouverez ci-dessous le Droit en Liberté ainsi que les ordonnances citées en téléchargement.