Nous avons vu tout au long de ces fiches pédagogiques que la dette ne présentait pas un problème à court terme. Cela ne justifie pas pour autant un statu quo, notamment sur les conditions de financement de l’Etat. Nous allons donc ici présenter les limites du système actuel et comment dépasser ces limites.
- La dépendance aux marchés financiers
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Comme nous l’avons vu dans la fiche 2, l’Etat et les administrations publiques empruntent massivement sur les marchés financiers. Or, une dette entretient un lien de dépendance de l’emprunteur envers son créancier. En effet, les créanciers peuvent implicitement conditionner leurs prêts à la mise en place de certaines réformes et ainsi mettre la pression sur les Etats.
Cette dépendance a été en quelque sorte mise sur pause depuis le début de la crise Covid puisque la BCE[1] a racheté quasiment tous les titres de dettes publiques émis depuis mars 2020. Cependant il s’agit d’une solution d’urgence et nous avons déjà relevé qu’un rôle accru de la BCE poserait une question de légitimité démocratique.
De plus, des taux d’intérêts faibles sont le résultat d’un excès d’épargne qui s’explique par des inégalités importantes et des opportunités d’investissements privés très faibles. Même si cela profite à l’Etat dans le contexte actuel, le niveau des taux d’intérêts pose question au niveau macroéconomique.
- Financement direct par la BCE et monétisation de la dette
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Pour respecter les traités européens actuels, la BCE ne peut pas financer directement les Etats. Ainsi ce sont des acteurs privés qui achètent les obligations d’Etat et la BCE rachète ensuite les obligations à ces acteurs privés. Cette intermédiation des échanges entre les Etats et la BCE nuit à la transmission de la politique monétaire vers l’économie réelle. En effet, l’argent est capté par les agents financiers, stagne sur les marchés financiers et vient alimenter des bulles spéculatives[1].
Il est tout à fait possible, en remettant en cause les traités européens, que la BCE finance directement les Etats pour se passer de ces intermédiaires financiers.
On peut aller encore plus loin que le financement direct et parler de monétisation. Un emprunt est une création de monnaie et le remboursement des emprunts constitue une destruction monétaire.
Dans le cadre de la monétisation de la dette, il n’y a pas de remboursement exigé et donc pas de destruction monétaire. Cela signifie simplement qu’il y a une augmentation pérenne de la masse monétaire, c’est-à-dire de la somme de monnaie en circulation dans l’économie.
Le risque mis en avant par les détracteurs de cette mesure est un risque d’inflation, cependant ce risque est très mesuré actuellement. De plus, par rapport à la situation actuelle, cela ne change rien à court terme, le seul changement se situe lorsque les prêts doivent arriver à échéance puisque cette échéance n’existe plus, de fait.
Dans les faits, la BCE reprête aux Etats lorsque les emprunts arrivent à échéance, c’est donc une forme de monétisation qui ne dit pas son nom. Sur le papier, il y a une échéance et donc une date à laquelle la monnaie créée doit-être détruite, mais cette échéance est sans cesse repoussée.
La monétisation des dettes futures revient au même qu’une annulation des dettes actuelles.
[1] Malgré la crise sanitaire et économique, le CAC 40 est aujourd’hui à son plus haut niveau depuis 2000, juste avant l’explosion de la « bulle internet ».
- L’exemple du circuit du Trésor
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Se financer sur les marchés financiers n’a rien de naturel pour les administrations publiques. En effet, après la Seconde guerre mondiale et jusqu’au début des années 1970, les déficits publics ou découverts passagers n’étaient pas du tout financés par des émissions d’obligations sur les marchés financiers.
A cette époque, la moitié des dépôts étaient faits auprès d’institutions financières dépendantes du Trésor. Cela constituait donc une ressource pérenne pour les finances publiques. Les banques commerciales privées avaient elles l’obligation d’acheter une certaine quantité de titres de dette publique à un taux fixé par l’Etat lui-même. La Banque de France (la BCE n’existait pas à l’époque) pouvait également refinancer l’Etat pour des montants maximums approuvés démocratiquement (par le Parlement).
La combinaison de ces différents mécanismes permettait donc d’assurer les besoins de financement public sans passer par les marchés financiers.
Le système actuel, bien que soutenable à court terme, n’est pas satisfaisant et ne garantit pas la souveraineté des administrations publiques, sans cesse jugées par les marchés financiers.
Diverses solutions peuvent être appréhendées pour sortir de cette dépendance, certaines ont déjà existé en France ou existent ailleurs dans le monde. Une fois de plus, ce n’est pas le statu quo que nous défendons mais une vraie réforme de notre circuit de financement public, qui ne pourra faire l’impasse, à minima, sur une refonte totale des traités européens.