Dans sa dernière publication de janvier 2024, la Lettre Vernimmen[1] annonce que les entreprises du CAC 40 ont établi un nouveau record, puisqu’elles n’ont jamais redistribué autant de profits à leurs actionnaires depuis que cette étude est réalisée[2]. Les quarante plus grands groupes français ont versé en 2023 : 97,1 milliards d’euros à leurs actionnaires, soit une hausse de 21% en un an (80,2 milliards en 2022) ! Alors que la crise inflationniste a mis à mal le monde du travail en réduisant le pouvoir d’achat et en dégradant les conditions de vie des travailleurs et des travailleuses, ces résultats mettent en évidence les inégalités criantes qui traversent la société française, et appellent à une meilleure répartition de la richesse produite.
[1] La Lettre Vernimmen est un document paraissant tous les mois qui traite des questions relatives à la finance d’entreprise.
[2] Elle a été réalisée pour la première fois en 2003.
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Près de 100 milliards d’euros versés par les entreprises du CAC 40 en 2023
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Parmi ces 97,1 milliards d’euros distribués aux actionnaires, 30,1 milliards d’euros se sont faits sous forme de rachats d’actions (23,7 milliards en 2022, soit une hausse de 27%), et 67,1 milliards d’euros sous forme de versements de dividendes (56,5 milliards en 2022, soit une hausse de 19%).
Trois groupes se démarquent dans le classement et représentent à eux seuls plus d’un tiers (37%) du montant total distribué : Total Energies (18,4 milliards), BNP Paribas (9,7 milliards) et LVMH (7,5 milliards). Pour Total Energies, ces résultats sont portés par la hausse des prix du pétrole et de l’énergie. Cependant, il faut rappeler que cette hausse a fortement contribué à l’inflation en France et a lourdement pesé sur le budget des ménages, en particulier des ménages les plus modestes (les prix de l’énergie ont augmenté de 5,7% en moyenne en 2023, après une hausse de 23,1% en 2022 !). En ajoutant trois autres groupes aux trois précités, on obtient la moitié des versements aux actionnaires du CAC 40 : Stellantis (5,7 milliards), AXA (4,9 milliards) et Sanofi (5 milliards). Dit autrement, la moitié des versements aux actionnaires résulte de seulement six multinationales sur les quarante que compte le CAC.
Source : Lettre Vernimmen, 2024.
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Des chiffres qui appellent à une redistribution de la richesse produite
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Depuis le début de la crise inflationniste mi-2021, le montant des profits redistribués aux actionnaires du CAC 40 n’a cessé de croître. Alors qu’ils avaient reçu 69,4 milliards d’euros en 2021, les quarante plus grandes entreprises françaises leur ont donc distribué 97,1 milliards d’euros en 2023, soit une hausse de 40% en deux ans ! Dans le même temps, les salaires n’ont même pas évolué au rythme de l’inflation, de sorte que le pouvoir d’achat des travailleuses et des travailleurs a quant à lui diminué de plus de 3% entre mi-2021 et mi-2023[3]. Par ailleurs, en l’absence d’échelle mobile des salaires, les bas salaires se font rattraper par le salaire minimum du fait des trop faibles augmentations consenties par le patronat, ce qui entraine un tassement des grilles de salaires vers le bas. De ce fait, le nombre de branches avec des minima sous le SMIC augmente : avant la nouvelle hausse de janvier 2024, plus de 30 sur un total de 170 branches étaient déjà dans ce cas ! Cela se traduit aussi par une hausse du nombre de travailleuses et de travailleurs au SMIC : 17,3% des salarié∙es en 2023 (soit 3,1 millions de personnes) contre 12% en 2021. De ce fait, cela rend éligibles aux exonérations patronales un nombre croissant de salaires qui ne l’étaient pas auparavant, et permet ainsi aux entreprises de recevoir de plus en plus d’aides publiques sans le moindre effort, ce qui alimente les profits et par la même les dividendes ! Pire, cela fait explicitement partie des stratégies d’optimisation des firmes, qui gagnent alors sur les deux tableaux. En maintenant les salaires autour du SMIC, elles bloquent volontairement toute croissance des salaires, et empochent de plus en plus d’exonérations.
Ces chiffres mettent en évidence les inégalités criantes entre le travail et le capital et appellent à une meilleure répartition de la richesse produite. En effet, ces profits et versements aux actionnaires doivent être régulés, surtout lorsque le monde du travail souffre chaque jour davantage de l’inflation et de la faiblesse des salaires. De ce point de vue, Total Energies en est l’illustration parfaite : ses profits et dividendes sont portés par la hausse des prix de l’énergie ; une fois que les ménages se sont « habitués » à des prix élevés, TotalEnergies maintient ses prix à des niveaux élevés malgré la baisse de ses coûts d’approvisionnement, cet « effet cliquet » alimentant ses profits de façon considérable. Sachant que l’inflation a été en grande partie tirée par les prix de l’énergie, cela a entrainé une perte importante de pouvoir d’achat et un transfert considérable de richesse créée par le travail vers le capital. Par conséquent, il faut sortir au plus vite de cette boucle prix-profits, qui entraine une redistribution de la richesse produite des salaires vers les profits, et qui détériore le pouvoir d’achat et les conditions de vie des travailleurs et des travailleuses.
[3] Le pouvoir d’achat est ici mesuré par le salaire mensuel de base (SMB), qui correspond au salaire brut et ne tient pas compte des primes ainsi que des rémunérations des heures supplémentaires/complémentaires, déflaté par l’indice des prix à la consommation (IPC). Il s’agit donc du montant correspondant à la première ligne du bulletin de paie.
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À retenir :
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- En 2023, les entreprises du CAC 40 ont versé 97,1 milliards d’euros à leurs actionnaires, soit une hausse de 40% en deux ans. Dans le même temps, le pouvoir d’achat des travailleurs et des travailleuses a quant à lui diminué de plus de 3% entre mi-2021 et mi-2023.
- Pour sortir de cette situation, l’État doit commencer par taxer davantage les profits réalisés par les grandes sociétés du CAC 40, et d’autant plus pour les profiteurs de crise comme TotalEnergies.
- Par ailleurs, les prix des carburants doivent être abaissés, en ponctionnant sur les revenus du capital des entreprises multinationales du secteur pétrolier.
- Mais l’enjeu est aussi et surtout celui de la hausse des salaires, en revendiquant un partage de la valeur plus favorable au monde du travail. Pour cela, les propositions de la CGT sont claires : augmenter le SMIC à 2000 euros bruts mensuel, augmenter de façon automatique toutes les grilles de salaires dans les branches, les entreprises et les administrations dès lors que le Smic est réévalué, c’est-à-dire rétablir l’échelle mobile des salaires, augmenter le point d’indice dans la fonction publique pour rattraper toutes les années de gel, ou encore arrêter à terme les exonérations de cotisations.